Une certaine idée de la ville : la perception de l’espace urbain au bas Moyen Âge

7 mai 2009

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Comment dépasser, sinon résoudre, la délicate question de la définition de la ville au Moyen Âge ? Nombreuses sont en effet les dimensions de l’urbanité à prendre en compte afin d’approcher la vie urbaine du bas Moyen Âge. À cet égard, l’une des pistes les plus fécondes réside assurément dans l’analyse de la façon dont les hommes du Moyen Âge eux-mêmes percevaient et se représentaient la réalité urbaine : il s’agit ainsi d’appréhender la ville médiévale comme espace vécu et pensé par ceux qui l’habitent.
Certes, la très grande majorité des sources nous révélant la perception de l’espace urbain par les citadins du bas Moyen Âge émanent en général des élites urbaines, au détriment de la perception que pouvaient avoir de leur environnement urbain des groupes sociaux moins favorisés. Mais, produites par des hommes détenant une part du pouvoir en ville, ou proches de ces élites politiques ou économiques, ces sources permettent justement d’envisager la question des rapports entre "ville réelle" et "ville idéale" sous l’angle des relations entre, d’une part, les pratiques administratives et politiques, et, d’autre part, les conceptions et les représentations qui, selon les cas, peuvent naître de cette pratique, l’orienter ou encore la contredire.
Notre réflexion se fondera sur les interventions de :
- Pierre Monnet (EHESS) : "La ville du bon gouvernement : civitas, communitas et utilitas publica chez Johann von Soest (1495)"
- Frédéric Vitoux (ENS LSH) : "La perception de l’espace urbain dans les villes multiples en Prusse teutonique au XVe siècle"

Pierre Monnet (EHESS) : "La ville du bon gouvernement : civitas, communitas et utilitas publica chez Johann von Soest (1495)"

Les traités de bon gouvernement constituent un genre littéraire bien représenté dans le domaine germanique et flamand. Ces sources livrent une représentation de la ville idéale et invitent parfois à considérer l’entité urbaine comme un laboratoire pratique, comme le terrain d’actualisation de théories générales. Dans une perspective plus large et dans une durée plus longue, on peut même se demander dans quelle mesure la ville occidentale a constitué une étape indispensable dans les processus de rationalisation et de politisation.
Pierre Monnet propose une analyse d’une représentation de la ville idéale à travers l’étude d’un de ces traités. En 1495, Johann von Soest (1448-1506) composa un traité de bon gouvernement urbain (Wy men woll ein statt regyrn sol) en l’honneur de la cité de Worms. L’œuvre, écrite en moyen haut allemand et suivant une forme rimée, coïncide avec l’entrée de son auteur au service de la ville en tant que médecin appointé du conseil. Johann von Soest tire de sa double formation de musicien et de médecin des métaphores destinées à rendre compte du fonctionnement idéal d’une ville. Le traité de bon gouvernement, qui témoigne de diverses sources d’inspiration, ne connut qu’une faible diffusion.
Johann von Soest définit la ville de manière théorique comme une communauté, une association citoyenne. La cité parfaite est conçue comme une harmonie entre les mariages, la production de richesses et le respect de la loi. Elle est bien construite, propre, aérée, fortifiée et économe de ses ressources. L’auteur propose une série de mesures concrètes pour parvenir à cet idéal. En revanche, le traité laisse de côté les questions relatives à l’Église, au roi et aux princes, aux impôts, ainsi qu’aux confréries et aux métiers. En somme, la ville est perçue comme l’unique échelon pertinent, sans corps intermédiaire, ni autorité supérieure.
Si ce traité est circonscrit à la ville de Worms et ne connut qu’une faible diffusion aux époques médiévale et moderne, il convient de l’inscrire dans un ensemble plus vaste de traités de bon gouvernement urbain, composés par des lettrés, qui ne sont pas nécessairement gradués en droit et qui écrivent le plus souvent en langue vernaculaire. Ces œuvres qui font une large place à l’idée de bien commun, idée qui peut servir d’argumentaire aussi bien au groupe des dirigeants qu’à leurs opposants, témoignent d’un moment de maturation, à l’échelle urbaine, de la culture politique.

Frédéric Vitoux (ENS LSH) : "La perception de l’espace urbain dans les villes multiples en Prusse teutonique au XVe siècle"

Depuis plusieurs décennies, la question des extensions urbaines et des villes multiples a fait l’objet de nombreuses et fructueuses études. Les travaux dirigés par Erich Maschke et Jürgen Sydow, à la fin des années 1960, ont été poursuivis par des études concernant diverses aires géographiques. Certaines études comparatives ont abouti à des tentatives de typologie et à une réflexion sur les divisions administratives séparant les Vieilles Villes (Altstädte), les Nouvelles Villes (Neustädte) et les faubourgs (Vorstädte).
Les villes prussiennes n’échappèrent pas à ce phénomène de création de villes multiples. L’Ordre allemand créa, à côté des premiers noyaux urbains, des villes nouvelles, sans doute dans le but d’éviter que des municipalités ne constituent des entités trop importantes, susceptibles de contester l’autorité teutonique. Les recherches sur les nouvelles villes en Prusse tardo-médiévale se sont ainsi concentrées sur des aspects politiques, notamment sur les rapports entre les Vieilles Villes et les Nouvelles Villes et sur le contrôle des municipalités par l’Ordre allemand.
En revanche, l’influence de cette structure administrative sur la perception et la construction de l’espace urbain n’a guère suscité l’intérêt des historiens. Si les sources livrant un discours sur l’espace urbain sont maigres pour cette aire géographique, il est possible de s’interroger sur les relations entre divisions administratives et morphologie urbaine et ainsi d’estimer dans quelle mesure les élites urbaines avaient une perception d’un espace urbain dépassant les clivages entre Vieilles et Nouvelles Villes.
L’intervention de Frédéric Vitoux avait pour objectif de présenter les premiers jalons de cette étude et de montrer, à partir d’une analyse de la morphologie urbaine et des registres produits par les chancelleries municipales, la grande stabilité des clivages à l’intérieur de ces agglomérations réunissant plusieurs noyaux urbains administrativement et fonctionnellement distincts.