Fiscalités municipales, fiscalités d’État : de la confrontation aux réseaux ?

14 avril 2010

Vous pouvez également télécharger ce compte rendu au format pdf en cliquant ici (PDF - 418 Ko).

La question des rapports entre fiscalité municipale et fiscalité étatique a fait l’objet de nombreuses études. Le débat n’a certes pas commencé hier (il a débuté avec les colloques sur la genèse de l’État moderne dirigés par J.-P. Genet), mais il n’est pas encore totalement éclairci, en raison de la variété des situations géographiques et politiques observées. La question fiscale pose ici le problème des échelles de l’exercice du pouvoir, et des rapports entretenus entre elles (de la simple négociation à l’opposition frontale). Les villes sont ainsi mises en relation pour satisfaire aux demandes de la monarchie (c’est notamment le cas dans les assemblées d’états qui consentent souvent l’impôt) : cette journée d’études du laboratoire junior VilMA se demandera si, à partir de cette mise en relation souvent contrainte des villes sur une question précise (et parfois en un lieu donné), peuvent éventuellement se dégager de véritables réseaux pérennes et autonomes. Cette "mise en réseau" potentielle attesterait ainsi la fiscalité comme une des modalités pratiques de la construction territoriale des principautés.

- Michel HÉBERT (Université du Québec, Montréal) : "Gestion financière et expédients fiscaux dans un État princier du XVe siècle : la Provence de René d’Anjou (1434-1480)"
- Florent GARNIER (Université d’Auvergne - Clermont I) : "Négociation fiscale et mise en réseau des villes du Rouergue (XIVe - XVe siècles)"
- David SASSU-NORMAND (Université Lumière - Lyon II) : "Espace urbain et espace monarchique. Un problème de juridiction fiscale à Albi au XIVe siècle"
- Mathieu CAESAR (Université de Genève) : "Les villes et la fiscalité princière en Savoie (XIVe - XVe siècles)"
- Frédéric VITOUX (ENS de Lyon) : "Les villes, l’Ordensstaat et l’impôt. Remarques sur la fiscalité municipale et étatique en Prusse tardo-médiévale"
- Denis MENJOT (Université Lumière - Lyon II) : "Les enjeux de l’assiette de l’impôt monarchique dans les villes de Castille sous les Trastamare (1369-1474)"
- Ágata ORTEGA CERA (Université de Málaga - Université Lumière - Lyon II) : "La fiscalité royale dans le Royaume de Grenade après la conquête castillane"

Michel HÉBERT (Université du Québec, Montréal) : "Gestion financière et expédients fiscaux dans un État princier du XVe siècle : la Provence de René d’Anjou (1434-1480)"

À l’instar de bon nombre de ses contemporains, René d’Anjou est un prince désargenté. Les nombreux financements octroyés par les États de Provence ne suffisent pas, ce qui pousse le comte à recourir à un certain nombre d’expédients, notamment pour subvenir aux besoins de son Hôtel. Ces expédients sont aussi l’occasion de se passer des États qui, depuis la fin du XIVe siècle, servent à financer les ambitions napolitaines des ducs d’Anjou.
Les subsides des États témoignent de l’institutionnalisation du consentement à l’impôt. Entre 1435 et 1444, ce sont ainsi plus de 500 000 florins qui sont octroyés, puis près de 300 000 florins entre 1469 et 1474. Si les États de Provence ne sont plus convoqués entre 1444 et 1468, le comte négocie directement avec les communautés à partir de 1452, ce qui lui permet de lever 670 000 florins en un peu plus de quinze ans. L’argent, destiné à financer les dernières campagnes d’Aquitaine et de Normandie, est obtenu via des négociations menées par les commissaires comtaux. Les négociations se caractérisent ici par un éclatement de la société politique dont les États sont traditionnellement l’émanation.
À côté de ces financements relativement réguliers, René d’Anjou raisonne également à court terme en s’appuyant sur les anticipations et les assignations, grâce auxquelles il perçoit plus vite l’argent dû. Les marchands d’Avignon jouent ainsi un rôle d’intermédiaires dont la contrepartie est l’aggravation de la pression fiscale, nécessaire au paiement des intérêts. Par exemple, les États de 1437 décident un subside de 125 000 florins à percevoir sur deux ans. Dès la fin des États, les commissaires vont lever l’impôt dont le cinquième équivaut aux bénéfices des marchands avignonnais qui ont avancé l’argent. En 1439 également, deux termes de paiement sont prévus pour le subside octroyé par les États : la Toussaint 1439 et la Toussaint 1440. René escompte alors la somme à un syndicat de marchands contre l’espoir d’une lettre de change. Ce sont donc les marchands qui, lors des assemblées de viguerie, négocient directement avec les communautés. L’assignation implique ici la suppression du contrôle administratif de la perception, ainsi que la constitution d’un portefeuille d’obligations cessibles.
Les douanes représentent une nouvelle occasion pour le comte, par exemple en 1441, de faire montre de ses talents de percepteur. Pas plus que les Provençaux, le comte et ses conseillers ne souhaitent d’une imposition sur les douanes, principalement à cause de la lourdeur de l’organisation. Les villes, telles que Arles, Aix ou Tarascon, acceptent néanmoins de négocier, à tel point qu’Aix accepte de racheter la taxe de douane, initialement prévue pour être levée à l’entrée et à la sortie du comté. La ville propose 5 000 florins, Tarascon 3 000. En fin de compte, la douane se transforme en fouage.
Avec les réformations de la justice, comme en 1447, on entre ici apparemment dans le domaine parafiscal. En réalité, les rémissions ne sont qu’un prétexte : elles sont accordées par des commissaires qui sont de proches conseillers du comte. Ceux-ci restent quelques jours dans les villes, parfois en rendant public dès leur arrivée le montant attendu. Ils obtiennent ainsi 1 600 florins à Barjols, 8 000 à Arles.
De 1434 à 1480, l’impôt extraordinaire devient (classiquement) régulier. On retrouve le "modèle français" de réticence à convoquer les États. Le comte s’adresse souvent directement aux communautés, dont les archives prennent une place importante dans les sources indispensables à qui veut étudier la fiscalité provençale. On assiste parallèlement à une mutation du discours fiscal : on argue d’abord de la nécessité puis, plus prosaïquement, de l’entretien de la Maison de René.

Florent GARNIER (Université d’Auvergne - Clermont I) : "Négociation fiscale et mise en réseau des villes du Rouergue (XIVe - XVe siècles)"

Toute enquête sur les États du Rouergue est rendue délicate par l’absence des archives produites par l’institution. Il faut donc, là encore, se référer aux fonds communaux. L’historiographie récente a pris en compte le rôle central des villes en ce qui concerne la mise en défense de la région (cf. les travaux de Pierre Flandin-Bléty). On voit ainsi trois types de rapports entre les villes rouergates, de l’hostilité à l’amicale coopération, en passant par la simple courtoisie. Plus récemment encore, Guilhem Ferrand a établi une hiérarchie urbaine basée sur cet aspect défensif. Florent Garnier pense cependant qu’il ne s’agit pas là du seul critère pertinent. Il rappelle ensuite l’existence, en Rouergue, des Marches : la Haute-Marche au sud de l’actuel département de l’Aveyron (Millau), et la Basse-Marche, avec Villefranche-de-Rouergue, capitale de la sénéchaussée. Il se propose alors d’expliquer la mise en place d’un réseau de villes en Rouergue, ainsi que son lien avec les États.

Pour éclairer l’émergence des autonomies urbaines en Rouergue, Florent Garnier propose la périodisation suivante :
- les premiers privilèges urbains sont repérables entre 1175 et 1225 (Millau, Rodez) ;
- le deuxième quart du XIIIe siècle voit un épanouissement sensible du mouvement urbain (Najac, Peyrusse, Villeneuve, Saint-Affrique) ;
- entre 1250 et 1350, une vingtaine de consulats apparaissent.
La fiscalité est l’occasion de nombreuses réunions interurbaines, ainsi dès 1272, mais aussi en 1295-1296. On assiste ainsi à des phénomènes de concertation, voire d’union, face au sénéchal ou au comte d’Armagnac. Dans ce cadre général, les Marches constituent un cadre particulier.
Jusqu’à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, on croyait que les Marches s’étaient formées très tardivement (années 1440) ; en réalité, elles apparaissent au milieu du XIVe siècle, en deux temps. Dans un premier temps, ce sont les villes qui instaurent les Marches. Les villes se réunissent, mais pas forcément sur l’injonction des officiers royaux : bien souvent, ces réunions préparent les négociations officielles. On observe ainsi une vingtaine de réunions à partir de 1296, même si elles semblent moins nombreuses dans les années 1320-1330. Ce qui est sûr, c’est qu’elles constituent de véritables conseils intermunicipaux, qui se tiennent avant les sessions des États de Languedoc, auxquels le Rouergue est rattaché jusqu’en 1360. Dans un second temps, à partir de 1356, on distingue la Haute-Marche de la Basse-Marche : c’est dans le cadre de ces Marches que sont élus les députés des consulats participants (deux par Marche). Après les États de Languedoc de 1359 (ceux-ci se tiennent à Carcassonne), les députés du Rouergue refusent de siéger plus longtemps avec leurs homologues languedociens, ce qui est directement à l’origine des États du Rouergue. Les villes entrent donc en contact avec les nobles (ce qui est indispensable dans un contexte militaire), puis les clercs. À partir de 1362, on parle des "trois États du Rouergue", avec le receveur ad hoc. On y distingue trois espaces : à côté des deux Marches, on trouve un espace composé du comté de Rodez et de quatre châtellenies.
Lors de cette période de gestation se mettent en place diverses règles de fonctionnement. Les assemblées sont convoquées à l’instigation d’une ou plusieurs communauté(s), ainsi Saint-Affrique en 1356. Or, on voit également, en vue des assemblées d’états, des réunions préparatoires dans le cadre des Marches : les communautés d’une des Marches peuvent demander à leurs voisines de se réunir. Au XVe siècle, cependant, l’influence du sénéchal augmente : il convoque les États de façon régulière, toujours dans les mêmes lieux, tels que Millau, de sorte qu’une hiérarchie s’établit entre les communautés. Au cœur de cette hiérarchie, on trouve Villefranche, Rodez et Millau.
Les différents territoires rouergats sont donc le théâtre d’une intense vie de relations, dont rendent compte les registres de délibérations municipales : suppliques et ambassades auprès du roi en sont autant de manifestations. Il n’en demeure pas moins que la répartition des subsides est la source de nombreux conflits. Deux répartitions sont opérées, tout d’abord entre les trois territoires évoqués plus haut (Marches et comté de Rodez), puis entre les différents bailliages. C’est au premier niveau que les difficultés se posent, puisque la Basse-Marche supporte 22% des impôts, la Haute-Marche 33%, et le comté de Rodez 45%. La répartition inégale des fouages suscite donc procès et chicanes tout au long du XVe siècle.
Les États du Rouergue contribuent par conséquent bel et bien aux relations intermunicipales ; contrairement à d’autres régions, l’apparition des élections va reprendre la division des Marches, ce qui n’empêchera pourtant pas la progressive mise en sommeil des États. On remarquera enfin la situation géographique et militaire particulière du Rouergue. Ainsi, peu après avoir pris son indépendance par rapport au Languedoc voisin, le Rouergue est occupé par les Anglais (plus précisément à la suite de Brétigny). Ces derniers conservent les États, mais en tentant de les rapprocher des États d’Aquitaine.

David SASSU-NORMAND (Université Lumière - Lyon II) : "Espace urbain et espace monarchique. Un problème de juridiction fiscale à Albi au XIVe siècle"

Avec une population avoisinant les 10 000 habitants lors de l’apogée démographique de la première moitié du XIVe siècle, Albi est une cité moyenne du Languedoc désormais capétien. Néanmoins, l’arrivée des Capétiens dans le Midi à la suite de la croisade anti-hérétique du premier XIIIe siècle a plusieurs conséquences. Tout d’abord, dans le cadre de la redistribution des cartes dans le jeu régional, saint Louis octroie à la famille de Montfort les territoires situés au sud du Tarn, sauf Albi et une partie de son arrière-pays. Cependant, dans ces territoires est incluse une partie de la ville, à savoir le Castelviel (Castrum Vetus), site originel d’Albi qui devient dès lors une communauté juridiquement distincte jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, créant une première déchirure dans le tissu urbain. De plus, pour gérer ces nouveaux domaines, les Capétiens ont mis en place leur propre administration : Albi est alors chef-lieu d’une viguerie, circonscription inférieure de la sénéchaussée de Carcassonne. Cette dernière est séparée de son homologue toulousaine par le Tarn, ce qui ne poserait pas de problème particulier si cette frontière administrative ne conduisait à une nouvelle ligne de fracture de l’espace urbain ; en effet, bien que la noyau initial et la plupart des faubourgs soient situés au sud de la rivière, une exception notable est constituée par une excroissance au nom évocateur : le faubourg du Bout-du-Pont, localisé sur la rive Nord et correspondant à l’actuel quartier de la Madeleine, du nom de l’église sur laquelle ouvre le pont, dans la jugerie d’Albigeois. Albi offre ainsi un cas bien documenté de discordance entre la morphologie urbaine et la trame administrative royale, source de contentieux récurrents à partir de la fin du XIIIe siècle, et dont le point d’orgue intervient dans les premières années de la guerre de Cent Ans. Ces contentieux sont essentiellement de nature fiscale, les habitants du faubourg entendant payer l’impôt du roi avec leurs concitoyens albigeois, tandis que se rappellent à leur bon souvenir les autorités royales de la sénéchaussée de Toulouse, confortées en cela par d’autres localités rivales d’Albi, elles aussi situées au nord du Tarn.
Le point d’orgue de cette opposition intervient très logiquement au début de la guerre de Cent Ans, c’est-à-dire au moment où la pression fiscale exercée par les souverains s’accroît considérablement sur leurs sujets. Saisies irrégulières sur les biens, convocations forcées à l’armée, arrestations… Les menées de ce que l’on peut appeler, pour simplifier, le "parti toulousain" sont multiples et variées, tandis que les habitants du faubourg s’engagent du côté des autorités consulaires. Le contentieux s’explique par la mise en œuvre, de chaque côté de la rivière, de deux systèmes fiscaux différents, à savoir l’impôt de quotité au Sud, tandis que les zones de l’Outre-Pont connaissent pour leur part, entre autres, une fiscalité de répartition qui fonctionne à l’échelle de la jugerie, avec un principe de solidarité entre les différentes localités. En d’autres termes, les habitants du faubourg constituent une ressource fiscale dont l’éventuelle perte constitue, pour chacun des deux partis en présence, un manque à gagner. En dépit de l’unanimisme des Albigeois, quelques habitants du faubourg refusent de payer leur part des impôts royaux aux consuls, prétextant une domiciliation située aux confins mêmes du faubourg. C’est le cas d’un certain Bertrand de Najac, qui durant près de dix ans multiplie les manœuvres dilatoires avant d’être contraint, abandonné par le "parti toulousain", de céder devant les autorités municipales d’Albi. Ce cas permet de mettre en évidence le rôle de cette affaire sur la délimitation du territoire périurbain, qui jusqu’alors était manifestement une zone floue, qui n’avait pas suscité de désir de clarifcation à une époque où commence à poindre, dans les différents organes administratifs du royaume, une certaine volonté de rationalisation.

Le cas albigeois souligne l’importance des découpages territoriaux mis en jeu par l’établissement d’une fiscalité royale qui tend à devenir continue. Chacun refuse, fort logiquement, de payer plus que ce qu’il ne doit, et la perte d’un territoire peut conduire à une augmentation de la pression fiscale. Rien d’étonnant, dans de telles conditions, à ce que le faubourg de la Madeleine suscite, pendant un temps si long, un tel conflit de juridiction. Il s’agit moins d’une rivalité entre deux administrations royales, puisque les officiers de Carcassonne n’apparaissent que très peu dans les documents, sinon pour fournir des quittances et des attestations, ou encore de la manifestation d’un pur esprit de clocher, que de la confrontation de deux échelles spatiales : celle de la ville, fût-elle partagée en deux par un cours d’eau, et celle de l’administration royale, qui est aussi celle d’une micro-région. Source de conflit, la fiscalité est aussi une source et une manifestation de cohésion : si différentes qu’elles soient par leur échelle et leur nature, la ville et la jugerie sont toutes deux le lieu d’une solidarité fiscale, avec ce que cela implique en termes de dialogue et de concertation ; autrement dit, le lieu d’une territorialité, au sens classique de la construction et de l’appropriation de l’espace par les sociétés : la territorialité des citadins, et celle du nord de l’Albigeois.

Mathieu CAESAR (Université de Genève) : "Les villes et la fiscalité princière en Savoie (XIVe - XVe siècles)"

La Savoie des XIVe et XVe siècles est un espace relativement peu urbanisé, dans lequel les principaux centres (sauf Genève) ne dépassent pas les 5 000 habitants. L’organisation du territoire reposait sur des châtellenies, regroupées en bailliage. Durant la période étudiée ici, la fiscalité princière est restée extraordinaire et les demandes successives de subsides ont contribué à renforcer le rôle des assemblées d’états.
À partir du XIVe siècle, les recettes ordinaires ne sont plus suffisantes pour couvrir les dépenses princières. Le recours à des subsides devient dès lors de plus en plus fréquent. Ces impôts directs extraordinaires nécessitent l’accord des sujets, qui pouvait prendre des formes diverses. La question a surtout été abordée par des historiens des états, mais les assemblées d’états n’apparaissent qu’à partir des années 1370-1380. Les subsides (subsidium, auxilium) sont levés et encaissés par les comtes des châtellenies. Cette fiscalité nouvelle entraîne des complaintes des sujets. Le mode de prélèvement n’est pas connu précisément. Il n’est pas possible de déterminer s’il s’agit d’impôts directs ou indirects. Le châtelain était responsable du recouvrement. Les sources comptables du receveur général témoignent de changements à partir de 1345-1346. Il apparaît que, dans certaines régions, les villes perçoivent l’impôt à la place des châtelains. Au milieu du XIVe siècle, ces prélèvements associaient une capitation et un impôt direct sur le capital. Par la suite, les représentants des sujets ont eu tendance à s’entendre avec le prince sur le versement d’une somme globale, ce qui a pu représenter un certain allègement de la fiscalité. Il revenait alors aux communautés de répartir l’impôt et de procéder au prélèvement. L’autonomie fiscale croissante des villes correspond également à une certaine crise administrative, liée en partie au risque de retenue de la part de châtelains, suspectés en outre de fraudes sur le décompte des feux.
La Bresse constitue un point d’observation intéressant si l’on souhaite se pencher sur le rôle des états et des villes dans les processus de consentement et de répartition de l’impôt. Il s’agit d’un des territoires les plus anciens du comté. La fiscalité y apparaît comme la raison la plus fréquente de réunion des états. Bourg-en-Bresse y joue un rôle particulier et ses représentants sont presque toujours présents dans les ambassades. L’appellation d’"assemblées d’états" est parfois trompeuse : il s’agit souvent de réunions des seules villes. Le bailli n’est pas toujours présent. Parfois, il n’intervient même pas dans la convocation de ces assemblées réunies à l’initiative des syndics de Bourg-en-Bresse (qui avaient obtenu de Philippe de Savoie la prééminence, soulignée par une distinction vestimentaire). L’affirmation d’une fiscalité princière fut ainsi concomitante de la consolidation de capitales régionales.

Frédéric VITOUX (ENS de Lyon) : "Les villes, l’Ordensstaat et l’impôt. Remarques sur la fiscalité municipale et étatique en Prusse tardo-médiévale"

L’Ordensstaat est une construction politique originale, dans laquelle un ordre religieux militaire exerçait l’autorité souveraine dans une vaste région et avait forgé un appareil étatique. Cette originalité ne doit toutefois pas masquer certaines similarités avec le développement des autres États européens. Ainsi, l’histoire interne de l’Ordensstaat atteste le rôle des assemblées d’états (Stände) qui représentaient à l’échelle de la Prusse les villes, ainsi que la noblesse.
L’importance croissante de cette institution est liée à son rôle dans les processus de consentement, de négociation et de levée des impôts extraordinaires demandés par les Teutoniques. Si les assemblées n’étaient pas régulières au cours du XIVe siècle, les réunions des Stände se multiplièrent à partir de 1410 et de la bataille de Tannenberg, dans un contexte de recherche de nouvelles sources de revenus par l’Ordre allemand. Dans la première moitié du XVe siècle, le grand maître convoqua fréquemment les états de Prusse afin d’obtenir la levée de subsides, associant un impôt sur le capital et une capitation. Il est probable que les villes aient été chargées de la répartition et du prélèvement de ces impôts. Les assemblées d’états prussiennes étaient donc, à l’origine, une instance non pérenne, convoquée selon la bonne volonté du souverain teutonique et aux compétences limitées. L’évolution de la situation politique et des relations entre le souverain et ses sujets conduisit au développement des Stände qui devinrent progressivement un contre-pouvoir, notamment en matière fiscale.
Ces assemblées d’états jouèrent un rôle dans l’émergence d’une ligue urbaine, dirigée contre la domination de l’Ordre allemand, ou du moins contre l’arbitraire des dignitaires teutoniques. L’Union prussienne (preußischer Bund), créée en 1440, regroupait 62 villes et intégrait des représentants de la noblesse rurale. Il est dès lors tentant de voir dans les Stände un facteur favorable à la constitution d’un réseau susceptible de s’opposer à l’Ordre allemand. Il convient néanmoins de ne pas surestimer le rôle des assemblées d’états dans cette mise en réseau des villes prussiennes. En effet, les diètes hanséatiques avaient conduit les "grandes villes prussiennes" (1) à nouer des relations suivies et multilatérales. Les villes de moindre importance qui participaient aux assemblées d’états faisaient généralement partie des aires d’infuence de ces grandes villes. L’élément nouveau apporté par les assemblées d’états prussiennes fut bien davantage la mise en relation des villes avec les représentants des grands propriétaires fonciers. La conjonction d’intérêts de ces deux états de la société prussienne fut sans doute à l’origine du "transfert d’obédience" de 1454.

Denis MENJOT (Université Lumière - Lyon II) : "Les enjeux de l’assiette de l’impôt monarchique dans les villes de Castille sous les Trastamare (1369-1474)"

Denis Menjot propose une synthèse organisée autour de trois enjeux majeurs de la fiscalité :
- Le type d’imposition mise en œuvre, notamment la place et la part des impôts directs et indirects ;
- Le choix des assiettes et des tarifs ;
- Les modalités de la répartition de la charge.
Les impôts directs sont fort mal acceptés par une grande partie de la population, dépassant largement le cercle des foyers les plus imposés. On ne peut guère citer que deux cas où des communautés acceptent de payer un lourd impôt direct afin de ne pas payer une taxe sur la consommation (accise). Comment expliquer ce rejet ? Il est impossible de se contenter de la thèse d’un éternel refus face à un prélèvement plus visible et douloureux que les taxes sur la consommation. Il semble en revanche opportun de se demander dans quelle mesure les populations ont pu être conditionnées, dans le but d’établir une imposition indirecte.
Si l’impôt direct est présenté comme plus équitable, il faut souligner qu’il est inégalement réparti en fonction des lieux d’habitation, du statut du contribuable et des modalités d’imposition. Dans un souci de rentabilité, ces modalités pouvaient différer dans la ville et hors les murs. L’accise est préférée intra muros, tandis que les villageois aux alentours étaient redevables d’une taille. Le statut des contribuables revêtait également une grande importance. Le clergé s’est ainsi vivement opposé au paiement de l’impôt et, au terme de luttes souvent longues, les clercs ont généralement dû s’acquitter d’une contribution. Certains habitants sont exemptés de tout impôt.
Les procédures d’imposition sont également un facteur d’inégalités. Aucun registre d’estime n’est conservé en Castille. Les sources dont nous disposons attestent un système d’assiettes extrêmement complexe, y compris dans de petites bourgades, de quelques dizaines de feux. Il existe dans la plupart des cas un plafond et un seuil d’imposition. Les contribuables se répartissent entre quatre ou huit tranches d’impôt, sans progressivité à l’intérieur des tranches. Les tranches intermédiaires supportent donc l’essentiel de la charge fiscale, même si le plafond d’imposition est parfois très élevé. En pratique, la taxation ignore parfois ces plafonds prévus par les textes normatifs. Certaines plaintes se sont élevées contre ce système fiscal.
En Castille, les impôts directs n’apparaissent pas comme la pierre angulaire des finances municipales. Ils ne servent jamais à instaurer une dette publique consolidée, transformant les créanciers en actionnaires. Par ailleurs, le coût de la perception des impôts reste difficile à estimer. L’impôt sur le capital occupe par conséquent une place bien plus grande dans les discours que dans les revenus municipaux.

Ágata ORTEGA CERA (Université de Málaga - Université Lumière-Lyon II) : "La fiscalité royale dans le Royaume de Grenade après la conquête castillane"

L’objectif de ce travail est de présenter quelques-uns des résultats que A. Ortega Cera a obtenus sur le sujet qu’elle étudie depuis quelques années et qui a été le sujet de sa thèse de doctorat, consacrée à l’implantation de la fiscalité royale dans le Royaume de Grenade.
Ce domaine a été choisi en premier lieu parce que, malgré la quantité de travaux qui traitent cette question, il manquait encore une recherche spécifique qui éclaire tous les aspects fiscaux du royaume. En second lieu, parce que le volume et la richesse de la documentation permettaient d’étudier le fonctionnement interne des mécanismes fiscaux, ce qui allait au-delà du propre régime grenadin puisqu’il s’étendait à l’ensemble de la Couronne castillane, et en troisième lieu parce que la combinaison d’un fort héritage musulman et de nouveaux éléments castillans, généraient dans le royaume grenadin des phénomènes beaucoup plus intéressants qu’à n’importe quel autre endroit de la Couronne castillane. En définitive, on se trouvait dans un lieu privilégié en raison des sources et de la longue tradition historiographique.
L’incorporation de Grenade à la Couronne de Castille, impliquait de mettre en branle toute une machinerie qui permette d’organiser le royaume grenadin. Le travail que durent accomplir tant les officiers castillans que les collaborateurs musulmans, fut ardu et laborieux en raison de la particularité que présentait le royaume nouvellement conquis. Sa population était en majorité musulmane et les institutions et structures sociales étaient totalement différentes de celles en vigueur dans les divers endroits de la Couronne castillane. Créer une organisation à partir de modèles castillans mais en respectant les capitulations signées avec les communautés musulmanes n’était pas une tâche facile étant donné que dans cette nouvelle disposition et distribution, devaient trouver leur place : les accords avec les communautés mudéjares, les tâches de gestion de la population et de repeuplement, l’organisation de la défense du royaume, et bien sûr, l’installation d’un double système tributaire qui permettrait de maintenir toute la structure du royaume récemment conquis.
Le meilleur exemple des particularités de cet endroit fut la création d’un régime fiscal extraordinairement complexe, non seulement parce que pendant toute l’étape mudéjare vont coexister différents fiscs - nasride, mudéjar et castillan - mais aussi à cause de la variété et de la complexité qui caractérisaient le système d’imposition nasride (très large et varié dans les différentes zones du royaume) comme le système d’imposition castillan (en raison de la diversification des franchises dont bénéficiaient les différentes villes et cités).
Le Royaume de Grenade est un lieu exceptionnel puisqu’il est à la fois un espace différent du reste de la Couronne de Castille et l’expression maximale de la maturité politique de la monarchie hispanique. C’est un lieu suffisamment hétérogène, divers et varié pour donner matière à y étudier une partie des réalités caractéristiques de toute société duelle : le mélange des institutions islamiques et chrétiennes, les phénomènes d’acculturation, de conflits et de cohabitation, de continuité des pratiques économiques et de persistance des structures sociales de la période arabe, une nouvelle réorganisation du royaume aux mains de la Couronne, la cohabitation de différents systèmes fiscaux, etc. Mais au-delà de l’étude basique et fondamentale des aspects institutionnels traditionnels et des relations entre recettes et dépenses, sans lesquels il est impossible de comprendre comment s’est forgée l’implantation de la fiscalité royale dans le royaume nouvellement conquis, cette étude s’est efforcée de mettre l’accent sur cette histoire fiscale à travers les mécanismes de négociations entre les différents pouvoirs, en intégrant au royaume grenadin l’ensemble des structures fiscales, financières et de pouvoir politique de la Couronne de Castille.

Notes

(1) : Cette appellation, consacrée par les historiographies polonaise et allemande, désigne un ensemble de six villes (Braunsberg, Culm, Dantzig, Elbing, Königsberg et Thorn) qui ont adhéré à la Hanse et forment dans cette ligue un "quartier prussien".