Pôle juridique

Les notions clefs : catégories, représentations, acteurs

Cadrage théorique sur les questions de catégorisations et représentation

Selon Kant dans la Critique de la raison pure, le «  centre  » de la connaissance est le sujet connaissant, à savoir l’homme, et non pas une réalité extérieure à laquelle l’homme appartiendrait. Ainsi, la réalité n’est pas définie par elle-même mais bien par l’homme en fonction de ce qu’il perçoit. La réalité est telle que l’homme se la représente. Schopenhauer, dans la lignée directe de Kant, écrit dans Le monde comme volonté et comme représentation que «  l’univers entier n’est objet qu’à l’égard d’un sujet, perception que par rapport à un esprit percevant, en un mot, il est pure représentation  ». La représentation résulte de la perception et de l’appréhension du réel par les individus  : les choses sont perçues, pensées puis modélisées. La modélisation est une manière de représenter les choses. Cette représentation peut être à l’esprit, un acte de pensée ou bien «  réelle  », visible de tous. Dans tout les cas, la représentation par un ou des individus participe à la création de schémas pertinents du réel leur permettant de fonctionner dans le monde. La catégorie représente un ensemble ou un groupe de personnes ou de choses partageant des de caractères communs. Elle permet donc de subsumer un certain nombre de «  données  », de les classifier afin d’obtenir un état de chose. La catégorie relève d’une pensée constructive et admet différentes acceptions selon qu’elle soit utilisée en philosophie, en sociologie ou encore en droit. Notre travail de recherche étant pluridisciplinaire, il convient de développer ces différentes acceptions. Commençons par la philosophie. Chez Aristote, les catégories sont les modes d’accusation de l’être (categorein signifiant «  accuser  » en grec), les moyens de désigner ce qui est. La catégorisation a une volonté schématique puisque les catégories désignent une série de principes généraux définissant la nature des entités que l’on trouve dans le monde. Cela permet de les classifier. Kant, quant à lui, définit les catégories comme des concepts souches permettant de penser et donc de juger les choses. En sociologie, Emile Durkheim ne considère pas les catégories comme des produits de l’esprit mais comme des «  représentations collectives  ». Ces représentations collectives résulteraient des interactions sociales et mettraient en place une manière d’ordonner et de percevoir le monde. Ainsi, l’individu agirait et penserait en fonction d’une vision du monde, d’une construction sociale, autrement dit, d’une représentation du monde. Pour Durkheim, chaque catégorie serait en elle-même une représentation. D’autres chercheurs ont ensuite pensé les catégories comme saisissant une activité en cours, un processus dynamique. Simmel et Weber les voient comme des «  formes d’organisation de la connaissance  ». Erving Goffman, Harvey Sacks et Harold Gerfinkel «  les considèr*ent+ à partir de la description des manières ordinaires de se guider et s’orienter dans les échanges – c’est-à-dire analys*ent+ des procédures de catégorisations  ». En sociologie de la connaissance, ces analyses sont nuancées. Selon Georges Gurvitch, un individu est modelé par son cadre social et ses connaissances en découlent. De fait, deux types de catégories émergent  : les catégories collectives, dites «  intériorisées  » par Talcott Parsons et «  incorporées  » par Pierre Bourdieu  ; ou bien comment les catégories sont utilisées par les individus dans leurs relations interpersonnelles.

Les catégories en droit

En droit les catégories sont fondamentales. En effet, l’établissement de catégories juridiques est un préalable indispensable à l’application d’un régime juridique ou d’un statut juridique. Le processus d’établissement de ces catégories, la catégorisation juridique, est donc une « une tentative d’ordonnance rationnelle *…+ », de l’ensemble des choses, des personnes et des actes qui doivent être régis par le droit (Ségolène Barbou des Places, « Les étrangers “saisis” par le droit : Enjeux de l’édification des catégories juridiques de migrants », Migrations Société 2010/2 (n°128), p. 35). Le sens à donner à cette opération de catégorisation est débattu. Néanmoins, de nombreux théoriciens du droits (comme Ségolène Barbou des Places) s’accordent sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une opération "neutre" qui seraient le simple décalque dans la loi de réalités préexistantes. Ce serait bien d’avantage "une technique, une méthode dont font usage les pouvoirs publics à certaines fins déterminées." (p. 36-37).
Ainsi, les catégories juridiques des français et des étrangers, dans le droit communautaire comme dans le droit français (code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ou CESEDA) répondent à des objectifs de contrôle des étrangers et de fixation de leurs parcours migratoires. Catégorie et représentation ne peuvent être confondues mais apparaissent toutefois intrinsèquement liées. Elles résultent toutes deux des perceptions. Il est parfois difficile de savoir si c’est une catégorisation qui mène à tel ou tel type de représentation ou bien si c’est la représentation qui donne à la catégorisation son caractère évolutif, qui la modifie. Mais il semblerait toutefois que, si la catégorie implique au préalable une perception et donc une représentation du monde, la représentation quant à elle peut se réaliser dégagée de toute catégorisation/classification.

Travail d’enquête : cerner les divers systèmes de représentations et catégorisations et en percer les enjeux

À travers ces différentes acceptions des notions de catégories et de représentations, nous avons pu apercevoir différents acteurs les définissant ou les créant. Qu’ils soient philosophes, scientifiques, acteurs institutionnels ou bien artistes, chaque individu peut proposer une perception différente du monde et donc une représentation sensible et unique, voire une proposition de reclassification. Dans notre travail, il s’agira de présenter ces différentes représentations et catégorisations afin d’en cerner les enjeux. Nous nous concentrerons particulièrement sur les acteurs associatifs, politiques, juridiques, médiatiques et enfin artistiques.