Pôle arts et littératures

L’« émigré » est sans doute un des personnages les plus universellement représentés dans les littératures, en photographie et au cinéma. L’analyse des migrations renvoie aussi bien à l’actualité qu’aux faits historiques et aux références littéraires dans la mesure où « la condition exilique relève de ces expériences humaines à la compréhension desquelles la figuration artistique est indispensable par la souplesse et la distance qu’elle introduit face à ce qu’elle représente » (Alexis Nouss, La Condition de l’exilé).

Support textuel : migration dans la littérature

On constate l’importance de la trace écrite concernant les phénomènes de migrations, les acteurs et témoins laissent de volumineuses traces de leurs expériences. Ces traces se posent comme matériel riche en éléments de connaissance et motifs de représentation.

Nous envisageons d’analyser les récits rendant compte de migrations à travers toutes leurs dimensions : de la littérature au roman, du théâtre à la poésie, de l’écriture intime à celle documentaire. Partant de l’observation que le discours ambiant, fondé sur le temps court, médiatique, mais pas uniquement, fige la représentation des émigrés et provoque leur isolement voire leur aliénation dans des stéréotypes négatifs et uniformisant, nous voudrions porter notre réflexion sur les récits de migration afin de déterminer la part des éléments propres à déterminer un genre littéraire « migratoire ». Il nous faudra travailler sur des exemples variés de manière à établir une typologie des discours et récits de la migration et déterminer s’il existe dans le parcours migratoire des thématiques récurrentes qui fixent des représentations dominantes et des figures marquantes. La pluralité des sources nous permettra en outre de couvrir une variété d’époques, d’espaces et de situations différentes.

On se propose à la fois de questionner :
- Le regard du migrant sur lui-même et sur sa mythologie personnelle (témoignage + maïeutique de l’écriture « sous-tutelle de l’autochtone ») ;
- Le regard du spectateur de l’immigration (autochtone témoin de l’arrivée de migrants) ;
- Le regard du spectateur de l’émigration (celui qui voit partir un proche -> à voir si des œuvres littéraires abordent effectivement cette thématique).

Cette simple liste nous permet d’emblée de constater l’existence de différents degrés de proximité avec l’expérience migratoire, degrés qui distinguent diverses visées et modes d’ancrages du fait migratoire dans le fait littéraire. Quels sont alors les modes de mise en récit littéraire des phénomènes migratoire et en quoi proposent-ils une alternative face à la tradition sociologique qui a contribué à perpétuer l’image d’immigrés dominés et exploités ?

Récits autobiographiques

Écrits par les migrants eux-mêmes Dans le cas des récits écrits par les migrants eux-mêmes, deux axes de réflexion s’offrent à nous :
- Dans quelle mesure le récit autobiographique d’émigration donne son sens à l’expérience migratoire et à la démarche individuelle des migrants ; comment le langage, la parole vive et le texte permettent aux migrants de redécouvrir leur présence à soi et au monde ?
- Y a-t-il une identité littéraire propre aux exilés, selon le principe – évoqué par Alexis Nouss – que « l’exiliance se fera créatrice si elle incite l’exilé désencombré de ses attaches et de ses réflexes culturels, à accueillir des mondes en lui ». Cela permet d’engager une réflexion sur l’écriture de l’interstice, l’hybridation de l’écriture en raison de la double (non-)appartenance culturelle des migrants. L’identité du sujet mouvant, partagé entre origine et destination est-elle vraiment propice à un jaillissement de nouvelles formes d’identités, notamment littéraires ?

Plume guidée (mais récits à la première personne)

- La plume des auteurs issus de la migration est parfois guidée par des auteurs autochtones afin que le récit final corresponde avec la présumée réalité éditoriale. Les maisons d’édition affublent ces auteurs immigrés d’un journaliste ou d’un écrivain afin que le texte produit soit littérairement correct. Cf Oreste Pivetta et Pap Khouma, Moi, vendeur d’éléphant dans les rues de Milan ; journaliste fait une introduction dans laquelle il explicite « j’ai pensé qu’il était utile de transcrire ce que Pap m’a raconté ces derniers mois, tout en cherchant à respecter le plus possible la spontanéité et l’immédiateté », on retire de cette phrase l’impression que Pap Khouma, originaire d’une culture majoritairement orale, a la seule qualité artistique de confier sa parole. Qu’implique cette difficulté à voir les personnes immigrées comme des témoins et non comme des auteurs
- Ces considérations ouvrent le champ d’une étude de la tension linguistique et recoupent la question de la création d’une identité littéraire migrante, une identité de l’entre-deux.

Le récit de vie non littéraire

- Toujours dans le cas des récits à la première personne, on peut envisager les récits recueillis par des entités administratives. Ces récits n’ont de valeur et destination littéraire qu’en puissance, que dans le cas où ils seraient repris et publiés (cf le processus de littérarisation mis en place par des auteurs qui font des textes littéraires avec de simples documents/archives et n’interviennent que dans de brefs passages introductifs en début de chapitre pour introduire l’archive ou le témoignage). La considération de ce type de récits nous permet de noter la modalisation introduite par les retranscriptions administratives qui font glisser le récit de l’indicatif au conditionnel et anéantissent les paroles sous-jacentes des individus (analyses de Jacqueline Rousseau-Dujardin). On rejoint là la problématique de la parole pétrifiée et métamorphosée, souvent traduite dans une autre langue, que les migrants ne reconnaissent pas.

Regards extérieurs

Biographies (récits à la troisième personne)

- Les témoignages sollicités par des journalistes ou écrivains peuvent aussi être considérés comme récits littéraires (cf Enrique’s Journey, Sonia Nazario) : réflexion sur l’élaboration biographique par le biais du témoignage.
- « Poussés par le débat médiatique, les écrivains choisissent de « faire raconter » l’histoire des étrangers à travers leur propre voix. Mais l’ambiguïté de l’opération est rapidement démystifiée. Les textes sont jugés intéressants à la seule condition qu’ils soient des témoignages, des autobiographies ou des carnets de voyages. » (Daniele Comberiati, « La langue des autres : vingt ans de littérature de la migration en Italie », dans Nicolas Violle (dir.), Récits de migration en quête de nouveaux regards). On constate l’existence d’un certain nombre de récits migratoires publiés par des auteurs autochtones et informés, à l’origine, par les témoignages de personnes migrantes. C’est une preuve de la tentative d’adaptation de la littérature à la forme médiatique à une époque où le récit médiatique a plus de retentissement et de puissance de captation d’intérêt que ne peut avoir l’objet livre. Mais l’intérêt du témoignage ou du document fondu dans une fiction renseignée et écrite par un auteur autochtone semble en inadéquation avec l’horizon d’attente du lecteur.

Les migrations vues de dehors

- Arrive ensuite le cas du récit fait par une personne n’ayant pas vécu l’expérience migratoire, celui de l’observateur qui écrit à la troisième personne. Dans ce cas de figure on retrouve évidemment les auteurs qui fantasment cette expérience (Laurent Gaudé, Eldorado).
- Mais également les récits médiatiques fondés, quant à eux, sur des témoignages. Le récit médiatique se pose comme métarécit fragmenté en épisodes aux auteurs distincts (polyphonie) subdivisé entre récits émergents constitués au fil des jours et récits accomplis dotés d’un début/fin et racontés au passé. C’est un type de récit migratoire différent mais qui ne doit pas être majoré pour autant car il y a une intention littéraire dans tout récit, même si celui-ci est publié dans un journal. (Dans le cas du récit médiatique, il faudra également analysée sa réception qui est, le plus souvent, éclatée contrairement à celle du récit littéraire conventionnel).
- Il est également possible, ici, de nous intéresser à la littérature jeunesse comme exemple typique de représentations extérieures du phénomène migratoire, forgées directement pour les enfants. Que révèle ce type d’écrits des représentations que l’on veut communiquer aux enfants ?

Migration au théâtre

Le théâtre, comme les autres arts, appréhende le monde pour en donner une nouvelle interprétation. Toutefois, malgré la pluralité de ses formes, il convoque la parole incarnée de l’acteur et le collectif de spectateur. L’analyse théâtrale nous permettra une comparaison entre les différentes formes artistiques et donc les différentes représentations des migrations. On se propose de questionner :
- Le regard porté sur la migration par le théâtre à travers plusieurs pièces portant sur la migration. Celles-ci ne sont pas encore toutes définies, donc toutes les propositions sont les bienvenues, mais nous avions évoqués la pièce du CDN de Seine Saint-Denis Nkenguegi ou les pièces jouées durant les festivals Migrant’Scène et Traces.
- Le regard que le migrant porte sur lui-même à travers l’analyse, si possible de la pièce 81 Avenue Victor Hugo écrite par Barbara Métais-Chastanier, Camille Plagnet et Olivier Coulon Jablonka, mise en scène par Olivier-Coulon Jablonka. Cette pièce met en scène huit migrants, sans-papiers, qui racontent leurs histoires, de la traversée de la Méditerranée aux trottoirs d’Aubervilliers.
- Le public à qui s’adressent les représentations (enfants, adultes, migrants eux-mêmes). Pour cela, nous analyseront la pièce Lili la bagarre, adressée à un public jeune, qui questionne la tolérance, l’exil mais aussi l’intégration et la nécessité de trouver, dans l’urgence, un sens à la migration.

Si possible, nous organiserons lors de la journée dédiée au théâtre, la représentation de cette dernière pièce afin d’ouvrir ensuite le débat sur les enjeux du théâtre face à la crise migratoire. Quel rôle celui-ci peut-il jouer ? Quel imaginaire crée-t-il ou fait-il circuler concernant la migration ? Quelle position politique ou militante défend-il ? Il s’agira d’essayer de trouver une réponse à toutes ces questions lors d’une discussion que nous animerons et qui fera intervenir artistes, mais aussi, on l’espère, universitaires.

Images (photographiques et filmiques)

Reste tout un pan de réflexion à proposer sur la question de la représentation imagée qu’elle soit photographique ou filmique et pour lequel nous attendons l’arrivée de nouveaux membres dans le laboratoire. Par ailleurs, si certains sont intéressés, il est aussi possible de mettre le théâtre en regard du cinéma. Notamment à travers le film de Avi Mograbi Entre les frontières, qui filme l’expérience de réfugiés en terre d’Israël lors d’un atelier inspiré du Théâtre de l’Opprimé d’Augusto Boal. D’autres propositions concernant l’analyse cinématographique peuvent être faites. Cette partie du pôle artistique cherche encore quelqu’un qui la prenne en charge