Pôle médias

Les représentations dans les médias et le champ journalistique

La politisation de ce qu’il est aujourd’hui commun d’appeler la "crise migratoire" ou "crise des réfugiés" est passée - avant d’entrer dans nos discussions personnelles - par le retentissement international de la photographie du petit Aylan Kurdi, mort sur une plage, les débats et les mobilisations qu’elle a suscitée, que la planche de bande dessinée de Y. Bouagga et L. Mandel (Les nouvelles de la jungle, 21 avril 2016) vient illustrer à propos de Calais. Télévision, presse, médias internet (journaux en ligne, chaînes Youtube, blogs, réseaux sociaux) sont en effet les premiers vecteurs via lesquels s’expriment les acteurs politiques [gouvernements, institutions européennes, partisans], mais aussi associatifs, militants, voire de simples citoyens invités à donner leur avis sur les migrations.

Les médias - ici définis comme les moyens (medium) de communication et d’information qui servent à rendre public un contenu - peuvent en ce sens être conçus comme une plateforme à l’interface de plusieurs champs. Mais ce serait trop vite vu : les médias ne sont pas un simple médium, neutre, au service de tout type de communication. Ils ont leurs propres règles de fonctionnement et de production, règles dans leur majeures parties façonnées au sein du "champ journalistique" tel que défini par Pierre Bourdieu dans son court ouvrage "Sur la télévision". (p. 46) "Un champ est un espace social structuré, un champ de force un champ de force, il y a des dominants et des dominés, il y a des rapports constants, permanents, d’inégalité qui s’exercent à l’intérieur de cet espace- qui est aussi un champ de luttes pour conserver ou transformer ce champ de forces. Chacun, à l’intérieur de cet univers, engage dans sa concurrence avec les autres la force (relative) qu’il détient et qui définit sa position dans le champ et, en conséquence, ses stratégies." Et l’une des lois les plus fondamentales du champ journalistique pourrait bien être celle de la concurrence, qui se traduit par la quête du scoop, de l’audimat… et se manifeste dans la concurrence entre des journalistes au profil divers (les jeunes, les vieux, les célèbres, appartenant à tel ou tel journaux…) bien que tendant à s’homogénéiser (à travers la formation notamment, l’apprentissage des normes du métier aussi) Ces présupposés posés sur les médias et le champ médiatique, nous pouvons maintenant énoncer les raisons pour lesquels nous souhaitons les étudier tout particulièrement au sein du laboratoire junior : nous faisons l’hypothèse qu’ils sont au cœur de la définition d’une "crise migratoire" - élément parfait, en soit, de dramatisation, au sens de mise en scène de la réalité et d’exagération - propre à émouvoir l’audimat. Un retour sur l’émergence de cette crise dans les différents médias européens, voire de la récurrence de cette "crise" (n’assistions nous pas déjà, dans les années 1990’s, à une "crise migratoire" lorsque les réfugiés des Balkans débarquèrent sur le sol européen ?) nous semble nécessaire, sachant que de nombreux travaux s’y sont déjà intéressés. D’autre part, les médias sont souvent considérés comme un "quatrième pouvoir", en ce sens qu’ils ont une puissance de définition et de construction de la réalité, pouvant potentiellement toucher l’ensemble des citoyens (qui ne sont pas uniquement des récepteurs passifs).

Puissance structurante, les médias sont aussi une puissance structurée : comme le souligne Pierre Bourdieu, pour toucher l’audimat le plus large (et c’est de quoi se préoccupent aujourd’hui la majorité des médias), il faut partir de lieux communs, en sorte que le problème de la réception du message ne se pose pour personne. Les médias sont donc au cœur des logiques de représentation et de catégorisation que nous souhaitons étudier. - enfin, nous l’avons relevés : les médias, bien que obéissants à leurs propres lois, n’en sont pas moins un vecteur essentiel de diffusion de la parole des différents champs, c’est d’ailleurs ce qui leur donne une grande partie de leur pouvoir, car ils peuvent sélectionner et rediriger la parole d’autrui. D’autre part, l’influence du discours médiatique, en particulier celui de la télévision et d’internet aujourd’hui, ont une influence sur les autres sphères de production culturelle, par exemple, le discours littéraire, cinématographique… Or, l’un des points de notre Laboratoire junior était justement non pas d’étudier chaque champ indépendamment, mais au contraire, d’étudier les communications entre les champs, la manière dont ils peuvent s’influencer les uns les autres, leur rapport de force, leur hiérarchie. C’est ce sur quoi il faudra en grande partie se focaliser dans notre étude des médias.

Dans le champ des migrations, les études sur les médias sont nombreuses et florissantes : elles semblent faire écho au nombre d’articles ou de reportages sur les migrants diffusés chaque jour, et participent, en ce sens, elles aussi à la politisation de la "crise des réfugiés". L’un de nos travaux les plus conséquents - en premier lieu - sera d’effectuer un État de l’art sur la question, d’identifier les différentes écoles, approches, auteurs et articles qui nous intéressent.

Nos enquêtes concrètes

Nous envisageons de déterminer une période de deux semaines ou nous recenserions sur un document Excel tous les articles publiés sur les migrations dans quelques quotidiens ciblés :
- Le Monde
- Le Figaro
- Libération
- La Croix
Cette étude comparative nous permettra de voir quel journal a publié sur les migrations, comment, en quels termes, avec quelle rhétorique ? Le tout en gardant à l’esprit. Ces premières analyses seront complétées par des recherches, plus fines, sur le fonctionnement de tel ou tel journal, sa place dans le champ médiatique et l’élaboration des représentations touchant aux questions migratoires.

Récemment le groupe a jugé intéressant de porter un regard tout particulier à la question des mineurs étrangers isolés et d’effectuer une recensions d’articles en préparation d’une table ronde en compagnie d’Olivier Favier, journaliste et auteur de Chroniques d’exil et d’hospitalité et du blog Dormira Jamais.