Colloque "De l’Antiquité à la modernité politique : quelles médiations ?"

Le colloque final du Laboratoire Junior REPHAM organisé par Flora Champy et par Caroline Labrune aura lieu les lundi 23 et mardi 24 octobre 2017 sur le campus Monod de l’ENS Lyon (46 allée d’Italie, Lyon 7) – Salle 1, Place de l’École.
L’entrée est libre.

Lundi 23 octobre

9h – Accueil des participants.
9h30 – Introduction.

I- Traduction, imitation et réécriture des textes politiques antiques

10h – Antoine Vuilleumier (Université de Neuchâtel, Suisse) : Trois médiations de sources antiques à l’aube des guerres de religion (1562) : traduction, commentaire et traité politique chez Loys Le Roy.

Loys Le Roy publie la même année 1562 un traité politique intitulé Des differens et troubles advenans entre les hommes par la diversité des opinions en la Religion, ainsi que deux traductions en français : le cinquième livre de la Politique d’Aristote et un extrait du troisième livre des Lois de Platon. À l’aube des guerres de religion, ces traductions ne sont pas choisies au hasard, en témoignent leurs titres : la première traite des « changemens, ruines & conservations des Estats publics », la seconde de « la modération de liberté et de servitude qu’on doit garder ès estats publics ». Ces trois publications, trop souvent lues comme des textes préparatoires au traité De la Vicissitude, publié treize ans plus tard, répondent en fait aux débats contemporains sur les causes des « séditions » et promeuvent des idéaux d’« union civile » et de « modération » politique défendues par les « moyenneurs ».
J’analyserai comment ces trois publications, qui mettent à disposition du public français une partie des réflexions politiques de Platon et d’Aristote, procèdent de trois médiations différentes des textes antiques. Premièrement, dans le cas des Lois de Platon, le texte antique acquiert une actualité par sa simple traduction : la défense de la tempérance (σωφροσύνη) et dans le régime monarchique et dans le régime démocratique fait écho aux revendications politiques respectives des catholiques et des protestants. Deuxièmement, c’est par le commentaire du livre V de la Politique d’Aristote que Le Roy inscrit le texte aristotélicien dans l’actualité politique. Le commentateur non seulement donnne à voir l’avis d’une auctoritas sur la guerre civile, mais a aussi pour ambition de contribuer à l’émergence d’un nouvel art politique, qui puisse aider les gouvernants à éviter ou faire cesser les affrontements civils. Pour ce faire, Le Roy développe dans ses notes certaines notions politiques comme « l’égalité proportionnelle » et accroît sensiblement le nombre d’exempla qui illustrent les thèses du Stagirite en y ajoutant des exemples pris de l’histoire récente, puisque en matière politique « les exemples proufitent plus que les préceptes ». Un troisième type de médiation se révèle à l’examen du traité Des differens et troubles advenans entre les hommes par la diversité des opinions. Cette fois, Le Roy intègre ses sources antiques (principalement Platon et Aristote) dans un texte de son invention. Son argumentaire vise à englober les séditions dans le schéma naturel et perpétuel « d’instabilité des choses humaines »7, de « vicissitude de mort & de vie » à laquelle est soumise tout agent historique. Ce raisonnement permet à Le Roy de réfuter toute dimension divine aux guerres de religion pour les réduire à un pur problème politique. Or, dans le domaine constitutionnel, il ne faut « jamais rien immuer sans urgente necessité, & tresevidente utilité ». Partisan de la stabilité politique, catholique modéré, proche du pouvoir royal, Regius se fait ici le défenseur de la ligne politique de Catherine de Médicis et Michel de L’Hospital et conclut son traité par une défense du régime monarchique issue du Politique de Platon.
Ces textes, qui font système entre eux, témoignent d’une forme d’écriture résolument tournée vers la praxis, qui propose, à partir de textes de Platon et d’Aristote soigneusement sélectionnés, traduits et commentés, d’une part des modèles explicatifs historiques aux troubles civils, d’autre part les moyens d’y remédier, à court (défense de la monarchie, sauvegarde de la paix et d’une union civile) et à long terme (naissance d’une science politique). Je terminerai par la mise en perspective des deux conceptions de l’histoire qui informent ces textes : l’une, traditionnelle, qui perçoit l’histoire comme une réserve d’exempla susceptibles d’enseignements (magistra vitæ), l’autre qui cherche à inscrire les événements dans le système général de la vicissitude et des variétés. Je ferai l’hypothèse que Loys Le Roy réserve la seconde à la discipline historique, et redistribue la première dans la science politique.

10h30 – Adrien Aracil (Université Paris-Sorbonne) : « Dieu permit que le Roy allast, vist, vinquist ». Réflexions sur l’usage politique d’une imitation de César par Henri de Rohan (1610-1630).

Le duc Henri de Rohan a laissé une trace dans l’historiographie de la France du premier xviie siècle en tant que chef du parti protestant, en particulier en prenant, avec son frère Benjamin de Soubise, la tête des troubles militaires entre armées royales et huguenotes qui émaillent les années 1620. Sans être un écrivain ou un littérateur, il est également l’auteur d’un certain nombre d’écrits, à vocation politique et apologétique, à l’image des nombreux discours politiques publiés dans la période 1610-1630, ou de ses Mémoires, et philosophiques ou historiques, comme son Parfaict Capitaine de 1632, traité d’art militaire conçu comme un commentaire de la Guerre des Gaules, ou De l’interest des Princes de 1634, ouvrage dédié à Richelieu où il propose une analyse des équilibres géopolitiques de l’Europe de son temps. Cependant, lire ces textes uniquement des écrits de circonstance serait nier l’importance du recours à l’écrit dans la culture nobiliaire de l’époque baroque, où les belles-lettres sont perçues comme un prolongement du champ de bataille : la diffusion massive, dès leur rédaction, de ces textes, sous forme de libelles imprimés, mais aussi sous forme manuscrite, rappelle leur importance politique. En outre, ils font l’objet d’un indéniable travail littéraire, les Mémoires de Rohan pouvant être lus, tant sur le plan de l’intertextualité que sur celui de la construction philologique du texte, comme une imitation des Commentaires sur la guerre des Gaules de César. Dans une perspective d’histoire politique de cette période, et en excluant les considérations sur les réseaux de diffusion ou la stratégie employée dans ces documents, cette intervention voudrait cependant se pencher, en la prenant au sérieux, sur la dimension textuelle de ces écrits : quel fut pour Rohan l’intérêt d’adopter une écriture césarienne ? Dans une perspective plus transdisciplinaire, on se demandera également en quoi l’étude de cette médiation avec les outils de l’analyse littéraire permet à l’historien d’approfondir sa compréhension d’une source centrale et pour autant opaque de sa période.
L’imitation du style césarien, qui allie effet de réalisme et d’objectivité par la prise de distance et dissimulation par l’omission volontaire ou le réagencement chronologique et narratif des événements, prend sens en premier lieu en offrant à Rohan la capacité d’écrire l’histoire en adoptant une énonciation alternative : il lui permet, en s’exprimant à la troisième personne, de livrer comme une analyse distancée de l’enchaînement d’événements qui ont conduit à la chute du parti protestant. Ce faisant, il se pose à la fois comme juge des péchés de ses coreligionnaires, qui ont préféré la division et l’intérêt personnel au service de la Cause, mais aussi comme celui qui, par l’écriture, conserve une cohérence à un corps social qui n’existe plus : au sujet d’un croissant huguenot hétérogène sur le plan confessionnel, politique, démographique et géographique, Rohan se sert d’analyses militaires minutieuses et d’un style aride qui dissimule la facticité de son Languedoc homogène où le peuple des villes, unanimement poussé par la foi, l’a soutenu dans ses actions. L’écriture est alors une manière de dépeindre un ordre social au sein duquel les protestants peuvent encore exister en tant que groupe politique autonome, à une période où cela n’est plus du tout évident sur le plan historique.
Toutefois, la réécriture s’inscrit également dans un contexte de réflexion littéraire sur l’usage de la référence et la construction de l’ethos d’un auteur qui assume de plus en plus son rang d’écrivain. Rohan emploie une écriture qui insiste sur la distanciation entre auteur et énonciateur, pour donner plus de force à ces analyses et sa mise en scène d’un contrepoids au pouvoir monarchique et d’un corps huguenot cohérent ; il n’entend pas également, par mépris nobiliaire pour les érudits, mettre en valeur la référence à l’Antiquité, préférant s’inscrire dans une imitation de la gloire de ces auteurs. Or, la période met en valeur le détachement des écrivains face aux affaires politiques tout en instant sur le pouvoir que s’arroge l’écrivain par son contrôle de l’énonciation, qui lui permet de construire un ethos d’écrivain. C’est donc dans une position de faiblesse que se présente Rohan : taire la référence césarienne affaiblit la relation entre l’énonciateur et l’auteur, et condamne ce dernier au silence, face à ses adversaires qui l’explicitent, pour mieux la discréditer. C’est à ce type de jeu que se livre le libelliste Jean de Silhon dans une préface au Parfaict Capitaine : alors que dans le texte de Rohan, la citation et la connaissance du texte antique servant seules à dépeindre, comme par un collage, le chef militaire idéal, le préfacier, sous couvert de faire l’éloge de Rohan, décide d’entrer dans le détail des actions de sa vie. S’ensuit un jeu de silences et de propos détournés, montrant à la fois le manque de légitimité pour Rohan à s’inscrire dans la continuité des héros antiques et l’aspect tendancieux du choix d’un tel héritage littéraire. Les héros de l’Antiquité ne sont pas des modèles à suivre : hommes d’un autre temps, ils obéissent à une logique politique périmée qui, transposée dans le temps de l’écriture, s’inscrirait plutôt dans l’héritage honteux des ligueurs et des fauteurs de troubles. On assiste alors à une dégradation progressive de l’écrit rohanien : les modèles de Rohan deviennent les paravents d’un rebelle qui veut légitimer sa désobéissance, et le silence de l’énonciateur est dévoilé comme relevant d’une stratégie de l’auteur, qui use de la médiation à des fins sinon criminelles, éminemment susceptibles de troubler l’ordre social. Comme le lecteur informé, le guerrier véritablement parfait est celui qui saura prendre de la distance face aux dissimulations de l’écriture de Rohan, et donc à tout ce qu’elle contient de rebelle.
L’interpolation entre les écrits de Rohan et les débats sur le rôle politique assumé par l’écrit contribue ainsi à expliquer l’échec des Mémoires et des autres ouvrages de Rohan à trouver leur public ; elle donne également un exemple de la complexité revêtue par une écriture de l’imitation césarienne, qui se trouve ici au croisement entre affrontement politique, débat polémique et histoire littéraire.

12h – Discussion.
12h30 – Déjeuner.

II- Quelles médiations pour engager les sources antiques dans l’Histoire ?

14h – Alexandre Goderniaux (Université de Liège, Belgique) : L’Antiquité pour convaincre. L’histoire romaine dans les libelles de la Ligue parisienne (1585-1594) : rhétorique et circulation du savoir historique.

Les écritures du passé dans les libelles de la Ligue parisienne (1585-1594) sont tout particulièrement protéiformes. Par une approche pratique des modalités dans lesquelles ces pamphlets convoquent les figures et les préceptes de la Rome ancienne, la communication visera à apporter un nouvel éclairage sur l’impact de l’Antiquité sur la pensée moderne.
Les libelles ligueurs sont des textes d’action dont la principale – sinon la seule – raison d’être est de convaincre ceux qui les lisent ou les entendent d’agir conformément aux recommandations du camp ultra-catholique ennemi de Henri de Bourbon. Issus d’une culturel foncièrement orale, il s’agit plus de supports de discours que de livres de collection. L’influence de la rhétorique y est dès lors considérable. C’est pourquoi la première partie de la communication ambitionne de montrer comment les libellistes ont puisé dans le vivier des exempla antiques, ce que les rhétoriciens nomment dispositio : chaque auteur procède-t-il de façon identique ? Leurs méthodes oratoires sont-elles héritées ou créées pour l’occasion ? Comment se combinent-elles ? Que reste-t-il de l’histoire antique après ce passage à la moulinette rhétorique ? Les libellistes ligueurs manipulent-ils les figures romaines comme des modèles parmi d’autres ou accordent-ils un statut privilégié à ces prestigieux exempla ? De nombreux exemples représentatifs seront utilisés pour illustrer cette partie technique.
La seconde partie visera à éclairer une étape encore plus fondamentale des modalités d’utilisation de l’histoire antique dans l’écriture polémique, à savoir la sélection des figures et des préceptes aptes à convaincre, que les rhétoriciens nomment inventio. Ce sera l’occasion de démonter combien les écritures de l’Antiquité romaine dans libelles de la Ligue illustrent parfaitement la transition « des “histoires” à “l’historique” » (D. Woolf) typique du xvie siècle. Les auteurs des libelles, essentiellement des juristes et des prédicateurs, ne sont pas des spécialistes de l’histoire mais de la rhétorique : comme de brefs exemples permettront de le démontrer, dans le but de convaincre, ils manipulent des références romaines qu’ils ne maîtrisent que superficiellement. Plusieurs hypothèses pourront être établies à propos de la nature des sources dans lesquelles les exempla antiques sont sélectionnés, de la méthode de recopiage de passages d’histoire ancienne et de leur mobilisation au service d’un argumentaire politique.
Étudiant ces sources longtemps délaissées par les historiens sous les angles successifs de la dispositio et de l’inventio, la communication entend démontrer que la production d’« historiens sans le vouloir ou sans le savoir » (F. Lestringuant) permet, tout autant que les grands livres d’histoire, de déterminer la prégnance et les modalités de convocation de la culture historique antique dans une société donnée. Un bénéfice d’une telle approche est de prendre la mesure de la fragmentation et de la polymorphie de l’héritage antique aux Temps modernes. En conclusion, on essayera de répondre à une dernière question : cette présence et ces modalités de convocation de l’histoire romaine dans les libelles ligueurs sont-ils une exception, ou un chaînon entre l’histoire antique et notre culture historique actuelle ?

15h – Camille Pollet (Université de Nantes) : Convoquer l’Antiquité pour définir la noblesse en Espagne, en France et en Angleterre au XVIIe siècle.

En parallèle de l’affirmation du livre imprimé, des évolutions de la pensée juridique et du foisonnement des textes moralistes, le XVIIe siècle a fourni en Europe des contextes nationaux propices à la réflexion sur l’ordre social et en particulier sur la noblesse : monarchie absolue des Stuarts et révolutions en Angleterre, débats consécutifs aux guerres de Religion et affirmation de l’absolutisme et de la société de cour en France, déclin économique et politique et permanence de la pureté de sang en Espagne. Dans ces sociétés, de nombreux auteurs ont par écrit théorisé la noblesse, en ont formulé des définitions ou du moins exprimé différents marqueurs. Ces écrits ont pour supports des livres tels que les traités de noblesse, ainsi qu’un certain nombre de traités d’éducation et de livres de conduite aristocratiques. Ces livres portent parfois des récits historiques relatifs aux origines nationales des noblesses qui renvoient bien davantage à des personnages et des épisodes militaires médiévaux tels que les premiers Infanzones et la Reconquista en Espagne, ou la conquête de la Gaule romaine par Clovis et les guerriers Francs en France, alors que les textes historico-politiques anglais débattent du poids respectif du common law et de la conquête de Guillaume de Normandie dans la genèse de l’ordre social (J. G. A. Pocock, 1957). Or dans certains de ces textes tels que les Essais sur la noblesse de Boulainvilliers, le récit des guerres médiévales est associé à des procédés rhétoriques plus anciens, et notamment à la légitimation de l’esclavage par Aristote. Plus que par l’histoire toutefois, ces traités définissent la noblesse par les qualités de ses membres, par leur comportement, par leur valeur morale, c’est-à-dire par le concept de vertu. Chez tous ces auteurs, souvent au détriment de l’idéal chevaleresque (B. Deruelle, 2015 ; N. Le Roux, 2015), la vertu nobiliaire est affirmée à l’appui de références à l’Antiquité gréco-romaine (J. M. Smith, 2005), à la Bible et aux Pères de l’Église. Si les Vies de Plutarque fournissent un réservoir d’exemples moraux, les cas de Philippe et d’Alexandre nourrissent des commentaires sur la succession du père au fils, tandis que les figures de Marius et surtout de Cicéron sont convoquées pour une réflexion sur l’accès à la noblesse et, en général, pour relativiser les critères de la naissance et de l’ancienneté des lignages. Quant aux références bibliques, si elles nourrissent des directives favorables à la piété et au bon comportement moral des nobles ou de ceux qui aspirent à la noblesse, elles portent aussi des idéaux d’égalité et d’humilité qui appellent parfois des efforts rhétoriques pour être conciliés avec la légitimation d’un ordre social inégalitaire. A partir d’une réflexion sur les sources (intertextualité, catalogues de bibliothèques, livres en circulation…) et sur « les conditions de possibilité d’une histoire des pratiques de lecture » (R. Chartier, 1985), cette communication proposera dans un premier temps quelques éléments de réponse à la question de l’accès aux références antiques par les auteurs de traités sur la noblesse. Elle montrera ensuite que la référence à l’Antiquité relevait d’un code, d’un aspect incontournable de toute rhétorique et de toute réflexion morale et juridique. Compte tenu de son pouvoir de légitimation, l’Antiquité apparait alors comme un matériau nécessaire, mais néanmoins malléable, qui pouvait nourrir des définitions différentes voire contradictoires de la noblesse au XVIIe siècle. Quelques exemples seront développés à partir d’extraits des livres de John Selden, de Claude de Marois et de Luisa María de Padilla notamment. Il ne s’agira alors pas de contribuer à une histoire des mentalités à partir d’exemples de textes jugés « représentatifs », mais de restituer quelques débats et d’individualiser quelques cas d’ « action d’écriture » (GRIHL, 2016) sur la noblesse. L’échelle internationale de la communication permet de plus d’observer différentes possibilités d’articulation d’éléments culturels inspirés par l’Antiquité, comme fond culturel commun en Europe, avec des caractéristiques nobiliaires propres à chacune des trois sociétés. Elle donne enfin quelques indications relatives à l’ampleur de la circulation de ces livres et des représentations de l’Antiquité qu’ils portent.

15h30 – Léa Gagnon (Université du Havre) : L’histoire métallique de Louis XIV : un récit entre modèle antique et nouvelle gloire.

L’Académie royale des Inscriptions et des Belles-Lettres, originellement appelée la Petite Académie, s’était lancée comme défi un projet de taille : produire une série métallique du règne de Louis XIV. L’entreprise a finalement abouti en 1702 à la publication des Médailles sur les principaux événements du règne de Louis le Grand, avec des explications historiques. Son appartenance à l’antique n’est plus à prouver, visible dès les premières lignes de la Préface, les revers s’inspirant délibérément des monnaies romaines, qu’ils soient simples, mixtes ou métaphoriques.
Notre intérêt va essentiellement se porter sur la relation qu’entretient notre oeuvre avec l’Antiquité, relation qui n’est pas aussi unilatérale qu’il n’y paraît au prime abord. Dans quelle mesure la mêle-t-elle alors à son discours historique et de quelle manière, malgré un lourd héritage humaniste, qui pousse les historiens de l’éloquence à s’appuyer sur les grands classiques que sont par exemple Tite-Live ou Tacite, cherche-t-elle à s’émanciper du giron traditionnel, au coeur d’un siècle en crise, secoué par la Querelle des Anciens et des Modernes, à l’orée des Lumières ?
En réalité, l’influence gréco-latine ne se contente pas seulement de toucher l’iconographie, elle investit également le texte, cette narration qui accompagne le métal et raconte les faits sans métaphore. Elle reprend un certain nombre de codes antiques, devenus clichés au fil des siècles, récupérés par l’historiographie officielle, notamment lorsqu’elle a redécouvert la culture de ces civilisations oubliées, pour encenser le pouvoir. Elle en adopte la structure, les thématiques ainsi que la forme jusqu’à recopier sa définition particulière de ce qu’est la vérité historique.
Pourtant, notre livre ne se cantonne pas à emprunter un discours recyclé, il joue au contraire avec la matière topique, l’intensifie ou l’atténue en fonction de ce qu’elle peut lui apporter. L’amplification des lieux communs passent principalement par un déplacement de traits spécifiques au récit des Anciens, qui désertent l’écriture pour mieux s’inscrire dans l’image. Cette dérobade si singulière vient d’ailleurs apposer une nouvelle couche de sens au vrai en histoire. Quant à l’effacement des stéréotypes du genre voire même leur disparition, il participe à resserrer le propos historique autour de la figure solaire du monarque. Ces deux détournements s’avèrent être l’expression d’un nationalisme, donnant à leur siècle sa dorure.
La relation de l’histoire métallique avec l’Antiquité ne se résume pas à un simple mouvement d’attraction et de répulsion. Une véritable volonté de dépassement anime le recueil, se refusant alors à une admiration servile des Anciens ou à une rivalité stérile. La gloire qu’il véhicule se doit d’éclipser toutes les autres, et en particulier celle qui l’a nourri. Une dynamique moderne s’extirpe alors des ruines antiques, dissimulée derrière son affiliation manifeste à la tradition historique. Elle s’incarne dans son érudition d’arrière-plan, aux portes de la création, sa temporalité fragmentée ainsi que la suprématie de sa langue. D’un nouvel âge d’or, nous parvenons au soleil de l’absolutisme.

16h – Discussion.
17h – Fin des débats.

Mardi 24 octobre

10h – Accueil

III- Une médiation socio-culturelle : la politique antique vue par la littérature de Cour

11h30 – Discussion
12h – Déjeuner

IV- Penser avec l’Antiquité : quelles médiations dans les réinterprétations personnelles de la politique antique ?

14h00 – Sébastien Roman (ENS Lyon) : L’Antiquité et l’enseignement des humanités au XVIe siècle : étude comparative de Machiavel et de La Boétie.

Nicolas Machiavel et Étienne de La Boétie ont été deux grands penseurs de la politique au XVIe siècle. Le Prince et Le discours de la servitude volontaire sont des ouvrages majeurs qui ont eu une grande postérité dans la modernité, au prix parfois de malentendus ou de maladresses d’interprétation. Machiavel et La Boétie ont longtemps mal été compris. Leurs oeuvres ont été tirées dans tous les sens, et le ton libre qui les caractérise, leur dissidence vis-à-vis d’une certaine tradition, continuent d’une certaine manière de fasciner.
L’intention, ici, sera de faire une étude comparative de leur rapport à l’Antiquité à partir de l’enseignement des humanités qu’ils ont suivi chacun de leur côté. Le Discours de la servitude volontaire a la forme rhétorique d’une « déclamation », de même que Le Prince, même s’il vide la virtù de sa dimension éthique par le souci de la verità effettuale, continue d’une certaine manière de relever du genre des Miroirs. Dans les deux cas, la référence à l’Antiquité permet de repenser la politique en indiquant ce qu’elle devrait être, ou bien de prendre ses distances avec une certaine tradition. On a d’un côté Machiavel qui s’inspire de l’expérience républicaine de la Rome antique pour revaloriser le conflit civil entre les grands et le peuple, en proposant une nouvelle lecture de la fécondité de la constitution mixte, et de l’autre La Boétie qui, très vite dans son texte, délaisse la question classique du meilleur régime politique pour lui substituer l’énigme de la servitude volontaire, évoquée par Plutarque, et qu’il convient d’approfondir. Chez les deux auteurs également, la métaphore médicale est présente, Machiavel parlant explicitement de la théorie galénico-hippocratique des humeurs, et La Boétie d’Hippocrate au sujet de la maladie de la tyrannie qui rend les hommes « lâches et efféminés ». Enfin, tous deux insistent fortement sur les notions d’ambition et de gloire, en lien avec la virtù comprise comme le vir virtutis, quand ils se confrontent au problème similaire du risque de la tyrannie, La Boétie dans le cas des tyranneaux, et Machiavel dans le cas du futur prince.
Ainsi, si Machiavel et La Boétie ont été parfois grossièrement opposés, selon l’idée fausse que le premier serait nécessairement du côté du prince, le second du côté du peuple, il est au contraire très intéressant de comparer leurs lectures de l’Antiquité à partir de la notion d’humanisme. Quels peuvent être les points de divergence et de ressemblance de leur lecture des Anciens ? Jusqu’où l’humanisme civique florentin, qui a si fortement compté pour Machiavel, même pour s’opposer à sa perspective consensualiste, peut-il être comparé à l’enseignement des humanités que La Boétie a suivi ? Et quels sont leurs rapports à ces humanités, qui décident du sens et des fonctions qu’ils attribuent à leur lecture de l’Antiquité, pour l’un se confronter à l’énigme de la servitude volontaire, l’autre pour réfléchir à ce qui fait la grandeur de l’État ?

14h30 – Marta Libertà De Bastiani (Université di Roma Tre, Italie / ENS Lyon) : Hobbes et Spinoza lecteurs de Tacite.

Ut ait Tacitus meus” écrivait Juste-Lipse, faisant de la lecture de Tacite un passage obligé dans la formation de l’homme politique. L’immense renommée de laquelle profite l’historien latin à l’âge classique justifie elle seule sa présence dans l’oeuvre de Hobbes – les Horae Subsecivae en particulier – et de Spinoza – le Traité Théologico-Politique et le Traité Politique –. Si la présence de Tacite est un fait incontestable, il n’en va cependant pas autant pour la valeur à lui assigner. Ainsi, l’analyse des similarités et des différences qui marquent les lectures hobbesienne et spinozienne de Tacite peut constituer un point de vue alternatif, mais non moins privilégié pour étudier leurs théories politiques et leur rapport. Les points de vue à travers lesquels cette analyse va s’articuler seront au nombre de trois : argumentatif ainsi que réthorique, historique et conceptuel.
Tout d’abord, d’un point de vue argumentatif et réthorique, cette étude contribuera à préciser la stratégie argumentative employée dans les écrits de Spinoza et de Hobbes. En ce sens, il est nécessaire d’éclaircir à quelle exigence répond la référence à l’oeuvre de Tacite chez les deux philosophes. En effet, si l’usage des sources antiques chez les théoricien de la politique à l’âge classique dépendait souvent de la nécessité de renforcer leurs arguments avec le recours à une autorité établie, chez Spinoza et Hobbes le recours à cette forme de la justification est exclu.
En deuxième lieu, d’un point de vue historico-philosophique, on comprendra comment la lecture sélective de l’oeuvre de Tacite que font Spinoza et Hobbes les différencie de la plupart des auteurs des traités politique leur contemporains. Si les principaux thèmes abordés avec les mots de Tacite sont les mêmes chez Spinoza, Hobbes et leur contemporains, et notamment la relation entre la guerre civile, les seditions et le pouvoir monarchique, ce qui change radicalement c’est la façon d’enchainer les arguments entre eux. En effet, l’intérêt que Spinoza et Hobbes accordent aux aspects structurels et anthropologiques de l’analyse historico-politique de Tacite marque une distance avec les Traités du miroir du prince écrits sous la forme d’un ensemble de préceptes qui distinguent l’art de gouverner et la science politique. Par conséquent, elle illustre l’importance assignée à la physique des affects et à la science politique. Il ne s’agit plus chez Hobbes et Spinoza de considerer l’historia comme magistra vitae dans le sens où on peut en tirer des conseils pratiques, mais de penser l’histoire comme un champ de l’experience où se réalisent les possibilités de la nature humaine – en particulier le jeu des affects et à partir duquel, par conséquent, on peut analyser l’entrelacement entre les passions et les structures politiques.
Enfin, on accordera une place majeure au point de vue conceptuel selon deux perspectives. Premièrement, on expliquera les diverses valeurs que l’histoire et les histoires revêtent dans la philosophie politique des deux auteurs, qui a été objet d’un récent débat. Conceptualiser une histoire au singulier, en effet, s’avère problématique dans des philosophies qui, bien que de façon différente, peuvent être classifiées sous le dénominateur commun du déterminisme causal. En outre, assigner un sens spécifique aux histoires, au pluriel, implique de repenser le rapport qui lie la science politique – qui nécessite une physique des affects – à la pratique, c’est-à-dire à la réalisation concrète des événements dans le passé. Puis, une lecture comparée sera également utile pour définir l’analogie aussi bien que la divergence entre Hobbes et Spinoza à propos du rapport entre anthropologie et politique. Dans ce sens, elle va contribuer à expliquer le résultat opposé des solutions politiques qu’ils envisagent : notamment une solution démocratique, celle de Spinoza, et une solution monarchique, celle de Hobbes.

15h00 – Raffaele Carbone (IHRIM / Université Federico II, Naples, Italie) : Malebranche et l’héritage politique antique.

Dans le Traité de morale (1684) et dans les Entretiens sur la mort (1696), Nicolas Malebranche esquisse une conception systématique du pouvoir politique et du rapport gouvernants-gouvernés. Or, lorsqu’il aborde ces thèmes, il évoque des auteurs anciens, notamment Platon, Plutarque, Cicéron. On se propose ainsi de montrer comment le philosophe français s’approprie cet héritage et comment il le soumet à un examen critique dans la perspective d’élaborer sa théorie politique. À cet égard, il est utile de se pencher tout particulièrement sur le troisième entretien sur la mort, où Malebranche thématise la distinction entre les sociétés historiques et la société future. Ici Ariste, l’un des personnages du dialogue, dit que l’homme est né pour vivre en société et que lui, il profite de ses biens et de ses amis ; Théodore, le porte-parole de Malebranche, lui fait remarquer que si l’homme est un être destiné à vivre en société, la société dont il est ici question n’est pas celle où l’on vit maintenant, mais « la société future que nous aurons tous avec le Père et le Fils dans l’unité du même Esprit ». C’est alors que Théodore prend la parole. Il évoque la célèbre thèse d’Augustin, exposée dans La Cité de Dieu, selon laquelle Rome ne fut jamais république, c’est-à-dire une véritable société, même si elle était considérée comme un bon modèle de république. Or, comme chacun sait, Augustin intervient à son tour sur une question débattue dans La République de Cicéron. Parmi les thèses présentées par les interlocuteurs de ce dialogue, l’auteur latin fait valoir celle qui affirme qu’une république ne peut pas subsister sans une exacte justice. À l’aune de ce principe, Cicéron croit pouvoir conclure qu’à son époque la république n’existait plus. Les pages des Entretiens sur la mort qui font l’objet de cette communication s’avèrent alors très intéressantes car elles montrent comment un auteur de l’Âge classique réfléchit sur des questions politiques abordées dans un texte antique qui est parvenu à l’époque moderne très mutilé : en effet, cet héritage n’est pas reçu en ligne directe mais médiatisé par la tradition augustinienne. Il faut rappeler, à ce propos, que Malebranche lit Augustin principalement à travers le célèbre recueil Philosophia christiana publié par André Martin sous le pseudonyme d’Ambrosius Victor (Paris, 1657 et 1671), qui présente les textes de l’évêque d’Hippone dans un cadre cartésien. L’intention ici est d’explorer ces médiations, de mettre au jour ce que la pensée malebranchienne hérite des considérations politiques cicéroniennes par le truchement d’Augustin et comment le philosophe français réélabore les problèmes antiques de la justice et de la véritable société à la lumière de sa conception du fondement et de la fin de la communauté politique.

16h – Discussion
17h – Conclusion