L’étude topographique des villes médiévales : les méthodes archéologiques et cartographiques

26 février 2009

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Argument scientifique : Dans le prolongement de la séance sur les discontinuités urbaines, la problématique du territoire appliquée au fait urbain revient à poser la question de la morphologie des villes, en se fondant sur les apports insuffisamment synthétisés de plusieurs décennies de fouilles archéologiques en milieu urbain.
Les fouilles de sauvetage ainsi que les fouilles programmées ont permis aux archéologues de mettre en relation les données du terrain avec l’interprétation des textes, tandis que les progrès conjoints de l’informatique ont permis de renouveler la cartographie des quartiers, d’interroger les étapes de la croissance urbaine.
Les Systèmes d’Informations Géographiques (SIG) constituent en particulier une nouvelle approche du milieu urbain, intégrant réellement la dimension spatiale, qui peut être mise en œuvre grâce aux apports de disciplines récentes (imagerie industrielle, géomatique et archéogéographie). Un SIG permet à la fois de partir des données sémantiques pour s’intéresser ensuite à la dimension spatiale des objets, mais aussi de considérer l’espace urbain comme une source, de laquelle on peut tirer un discours de type historique.
Le séminaire, ouvert à tous, s’est articulé autour de trois interventions :
- Jean-Michel Poisson (EHESS / CIHAM) : « Les développements récents de l’archéologie urbaine ».
- Boris Bove (Paris VIII - Vincennes-St Denis) : « Un SIG sur le Paris d’ancien régime : bilan d’étape du programme ALPAGE ».
- Roxane Chilà (ENS-LSH / VilMA) : Présentation du livre d’Hélène Noizet : La fabrique de la ville - espace et société à Tours (IXe - XIIIe)

Jean-Michel POISSON (EHESS / CIHAM) : « Les développements récents de l’archéologie urbaine »

Jean-Michel Poisson rappelle que les données d’archéologie urbaine restent partielles, en raison de la permanence d’une occupation humaine dense en ville.
L’archéologie urbaine permet tout d’abord de mieux étudier la transition entre l’Antiquité et le Moyen Âge. Les archéologues ont ainsi pu constater que la contraction des surfaces habitées - via le repérage et la datation des enceintes urbaines - était effectif dès le IIIe siècle ; ils ont également pu constater une ruralisation de l’espace urbain avec la découverte d’habitations non jointives construites en matériaux légers et technologiquement pauvres (Brescia, Luni). Surtout, la question des terres noires (couches sombres, épaisses et peu stratifiées qu’on retrouve entre le IIIe et les XI-XIIe siècles) focalise le débat sur la désurbanisation altimédiévale : qu’elles soient dues à l’abandon de certaines zones, à leur mise en culture ou aux changements des matériaux de construction, les terres noires renvoient à un concept largement diffusé, mais renvoyant à une réalité méconnue, un « entre-deux aujourd’hui sans nom » (H. GALINIE, 2002).
Les archéologues peuvent également apporter leur expertise concernant l’analyse morphologique du tissu urbain, c’est-à-dire utiliser le tissu urbain comme une source permettant d’expliquer la forme du réseau viaire actuel par son époque de production (la persistance de la cadastration romaine, par exemple). Contre l’idée d’une persistance des orientations du réseau viaire (P. LAVEDAN), G. CHOUQUER et les tenants de l’archéogéographie (B. GARNIER) montrent que les formes urbaines peuvent être réactivées après des phases de latence et de sommeil. Néanmoins, si cette méthode permet de repérer des pôles d’urbanisation distincts, la « source » sur laquelle elle repose (les cadastres « napoléoniens ») reste imparfaite (distorsion entre leur période de réalisation et l’époque actuelle ; imperfections des relevés du premier XIXe), et les imbrications des orientations du réseau viaire ne sont pas toujours des traces de planifications successives. Reste que l’étude de la morphogénèse fonctionne bien quand il s’agit d’étudier le rôle des pôles périurbains dans la constitution de la ville médiévale, voire de bourgs moins importants issus de la coagulation de plusieurs pôles (politique, économique, et religieux dans le cas de Montbrison).
La discussion porte ensuite principalement sur les terres noires, très difficiles à saisir du fait de la diversité des situations, mais également parce qu’on ne dispose que d’éléments sporadiques et que les terres noires étaient précédemment évacuées par les archéologues des générations précédentes.

Boris BOVE (Paris VIII) : « Un SIG sur le Paris d’ancien régime : bilan d’étape du programme ALPAGE »

Boris Bove prend ensuite la parole pour présenter l’intérêt des Systèmes d’Informations Géographiques pour l’étude des villes, à travers l’exemple du SIG du Paris d’ancien régime (XIIIe - XVIIIe siècles), coordonné par Hélène Noizet (Paris 1).
Les SIG associent des bases de données à un géo-référencement (coordonnées géomatiques absolues dans un système de projection), dont l’association permet de produire des objets vectorisés d’une précision absolue. L’intérêt d’un SIG est qu’il permet de mutualiser les connaissances autour d’un même objet, à la fois en rendant possible le traitement de volumes d’informations colossaux, mais aussi en gardant la mémoire collective du travail effectué, ce qui permet de savoir selon quelle hypothèse scientifique une carte ancienne a été réalisée. Enfin, un SIG permet de produire des cartes en série, avec un fonds de carte fiable, quelque soit l’échelle temporelle et spatiale retenue. En revanche, un SIG représente un investissement très lourd en temps et en argent, et reste un outil parfois trop précis pour les médiévistes, qui n’ont pas toujours une échelle de précision absolue.
Le cas du recensement des hôtels aristocratiques à Paris antérieur au SIG (cartes de FAVIER, 1974 ; CNRS, 1975 ; SANDRON et LORENTZ, 2006) permet de se rendre compte des apports de ce nouvel outil. Sans le recours au SIG et à la mise en commun des informations, les hôtels particuliers ne sont pas toujours précisément définis (qui de la forme architecturale ou du propriétaire les définit ?), des choix arbitraires sont parfois faits dans la délimitation du groupe aristocratique (faut-il prendre en compte les propriétaires ecclésiastiques puisqu’ils lèguent à leur neveu leur propriété ? les comtes de second rang doivent-ils être inclus ?) ou dans l’aire géographique retenue (faut-il prendre en compte les concentrations d’hôtels particuliers hors-les-murs comme ceux de Saint-Germain-des-Prés ?). Plus gênant, l’abondance d’informations nuit à leur lisibilité sur une carte, et les erreurs ont tendance à être reprises lors de la mise à jour des informations.
Après avoir rappelé le montage institutionnel de ce programme blanc ANR, Boris Bove présente les riches sources cartographiques (plan Vasserot antérieurs à 1854) qui permettent d’avoir des informations fiscales (les parcelles détenues par les propriétaires) et architecturales (la forme des bâtiments au sol). La numérisation des cartes et leur transformation en objets vectorisés est l’occasion pour l’informaticien de l’équipe de développer un logiciel inédit de vectorisation semi-automatique des formes parcellaires, qui est presque abouti : la recherche fondamentale permet donc de développer une technologie innovante. Néanmoins, le géo-référencement reste encore très long, puisqu’on ne peut actuellement faire plus de 4 à 6 îlots par jour (sur les 900 à réaliser). Ce travail est sur le point de permettre la confection d’un fond de carte fiable pour le Paris de 1300 et de 1380, ce qui permet aux historiens d’alimenter le SIG en données historiques, notamment la réalisation d’une carte des seigneuries du XVIIIe siècle (1750-1780).
La discussion porte ensuite sur les problèmes d’accessibilité ultérieure au SIG et sur l’épineuse question de la pérennité institutionnelle du projet.

Roxane CHILÀ, présentation du livre d’Hélène NOIZET, La fabrique de la ville - espace et société à Tours (IXe-XIIIe)

Roxane Chilà achève la séance en présentant brièvement (qu’elle en soit remerciée) les fondements théoriques et les résultats de la thèse d’Hélène Noizet.
Cette dernière considère la construction de la ville comme un processus dialectique entre les acteurs et la matérialité de la ville. Pour étudier les représentations spatiales des acteurs, elle a eut recours au logiciel de lemmatisation SPAD, qui permet d’informatiser le traitement lexical des textes, d’autant plus qu’il prend en compte les conjugaisons et les cas des mots recensés. Concernant l’étude de la matérialité de la ville, elle a utilisé le SIG de Tours (TOTOPI : TOpographie du TOurs Pré-Industriel). La mise en relation de ces deux ensembles de données repose en grande partie sur le courant de la psycho-géographie (GRATALOUP, LUSSAULT, etc), notamment sur l’idée que les espaces en extensions ne restent pas homogènes et que plusieurs polarités se concurrencent lors des phases de développement (« principe d’Aix-la-Chapelle »).
Ces attendus théoriques sont déclinés dans cinq grandes parties, les quatre premières étant des études chronologiques des relations entretenues par les moines et chanoines (de St Martin, St Julien et Chateauneuf) avec leur quartier, suivies d’études lexicographiques qui mettent en valeur les rapports de force (St Martin utilise de préférence les termes insistant sur son autonomie juridique). La dernière partie consiste en une modélisation s’appuyant sur la démarche idéal-typique de Max Weber : si le rapport à l’espace urbain est un impensé des communautés ecclésiastiques, il reste que les relations sociales induites par le modèle de vie canonial favorise la densification de l’espace urbain, puisque les chanoines ont accès au siècle, à la consommation et au luxe, tandis que les choix effectués par les moines de St Julien eurent pour conséquence opposée d’accentuer la coupure avec le reste de l’espace urbain.
Les personnes désirant plus de détail sur ce point peuvent lire avec profit l’article synthétique qu’Hélène Noizet a récemment produit : http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/21/82/76/PDF/Noizet_Bruxelles.pdf.