Séminaire commun

18 mai 2016 : L’histoire et la science politique : les exemples antiques chez Thomas Hobbes

Par Odile Tourneux

L’histoire et la science politique : les exemples antiques chez Thomas Hobbes

Leo Strauss est le premier à avoir souligné l’importance de la discipline historique, et en particulier de l’histoire antique, à la fois dans la formation et dans le travail de Thomas Hobbes. Nourri de culture humaniste, Hobbes traduisit _La guerre du Péloponnèse_ de Thucydide, rédigea un discours sur Rome, un autre sur Tacite. Cet attrait pour la culture civile antique ne durerait cependant qu’un temps : une fois constitué le projet d’une science politique, Hobbes se détournerait du récit historique. Si la pensée juvénile de Hobbes reposait sur l’analyse de l’histoire, tout tacitisme serait par la suite évacué au profit de démonstrations abstraites. Toutefois, une telle approche du corpus hobbesien néglige la part accordée à l’histoire civile aussi bien dans les Éléments, dans le De cive que dans le Léviathan. Si Hobbes ne fait plus le récit des temps passés à proprement parler, l’histoire constitue dans ces textes un recueil inépuisable d’exemples. La question se pose dès lors de savoir quelle peut bien être la valeur de ces exemples : ont-ils pour fonction d’illustrer les préceptes de la nouvelle science politique ? Visent-ils à édifier le lecteur ? Nous verrons qu’ils sont bien plutôt l’occasion pour tout un chacun d’atteindre au savoir scientifique en jugeant par lui-même.

26 avril 2016 : Comment conseiller un prince absolu au XVIIe siècle ?

Par Delphine Amstutz

Comment conseiller un prince absolu au XVIIe siècle ?

Une crise du conseil politique se fait jour à la charnière des XVIe et XVIIe siècles en Europe. De nouveaux concepts politiques apparaissent (« tacitisme » encouragé par les éditions et commentaires de Juste Lipse, invention d’un nouveau langage politique dans la Florence de Machiavel et Guichardin, vulgarisation de la notion de « raison d’État » forgée par G. Botero) ainsi que de nouvelles pratiques de gouvernement, qualifiées par les historiens contemporains de « régime de l’extraordinaire » ou d’« absolutisme » (voir les travaux de Jean-François Dubost, Arlette Jouanna ou Christian Jouhaud). L’idéal platonicien, dont on retrouve l’empreinte dans Le Courtisan de Castiglione et ses émules français, d’un courtisan philosophe, ami et conseiller du Prince, semble désormais caduc. Deux voies opposées semblent frayées par les écrivains du règne de Louis XIII pour redéfinir les conditions du conseil politique : 1) le conseiller comme « ministre », pure fonction d’une entité abstraite et rationnelle : l’État moderne. Des auteurs aussi différents que Jean Silhon, un écrivain proche de Richelieu, (Le Ministre d’État, 1631), Gabriel Naudé ou Thomas Hobbes, s’intéressent à cette question et tentent de distinguer le « ministre d’État », du conseiller traditionnel ou de l’ami du Prince. 2) le conseiller comme favori parrèsiaste chez Guez de Balzac qui s’approprie, dans le sillage de Plutarque, les figures antiques de Mécène et Aristippe et tente de légitimer la relation personnelle qui doit unir un Prince et son conseiller.

22 mars 2016 : Écrits politiques des physiocrates en Russie dans les années 1760

Par Sergey Zanin

Écrits politiques des physiocrates en Russie dans les années 1760

Le manuscrit anonyme et non daté de Saint-Pétersbourg ayant pour titre L’Esprit de « l’Instruction » de Sa Majesté impériale, pose une énigme, d’autant plus que son examen paléographique n’aide pas à identifier son auteur. Pourquoi, dans quel but et par qui il a été composé ? Depuis la fin du XIXe siècle les chercheurs essaient d’en établir la paternité. Les hypothèses se multiplient : Diderot, Charles du Villiers, Guillaume-François Le Trosne. Grâce à l’application d’une série des méthodes d’analyse (structurelle, comparative, micro-historique, stylistique) ainsi que l’étude du paratexte prouve que l’auteur du manuscrit était prince Dimitri Galitzine, ami de Diderot. À travers ses annotations de l’Instruction de Catherine II, Galitzine propose un projet de réformes politiques débouchant sur l’abolition du servage et la convocation de l’Assemblée législative. Tout au long de son commentaire, il se réfère à l’exemple donné par l’Antiquité et cite abondamment la Préface de Marmontel à son Lucain. Quelle était la signification de ce renvoi à l’Antiquité dans l’ambiance intellectuelle du temps ? Pourquoi se réclame-t-il de l’exemple romain pour étayer ses thèses théoriques ? L’exposé fait au cours de la conférence propose des éléments de réponse.

2 février 2016 : Antiquité et pouvoir chez Rousseau

Flora Champy  : Des multiples Antiquités politiques de Rousseau : souveraineté et gouvernement

Des multiples Antiquités politiques de Rousseau

La place capitale de l’Antiquité dans la pensée politique de Rousseau fut reconnue dès la parution de ses ouvrages. Pourtant, la critique peine encore à déterminer avec précision la fonction des nombreuses références à l’histoire et à la littérature antique qui émaillent ses œuvres politiques. Suivant l’hypothèse que le fond de la difficulté réside dans une appréhension trop univoque de l’Antiquité chez Rousseau, nous chercherons à mettre en évidence comment l’auteur du "Contrat social" a recours de manière différenciée à l’histoire grecque et latine afin de penser respectivement la légitimation et l’exercice du pouvoir, ainsi que leur nécessaire et difficile articulation. Nous tenterons ensuite de voir comment la prise en compte de cette distinction permet de réévaluer certains aspects encore trop peu étudiés de la pensée politique de Rousseau, notamment le rôle décisif qu’y joue l’histoire.

Théophile Pénigaud  : La citoyenneté chez Rousseau : droit ou vertu ?

La citoyenneté chez Rousseau

Rousseau semble d’abord trouver dans l’antiquité un riche réservoir de modèles de citoyens : de Caton incapable de survivre à sa patrie à la mère spartiate se souciant davantage de la victoire ou de la défaite de Sparte que du sort particulier de son fils à la bataille, on a affaire à des citoyens dont la vertu consiste à s’oublier au profit du tout dont ils font partie. Que l’antiquité serve de "test" de possibilité morale est explicite dans le Contrat Social (II, XII). À partir de là, il est tentant de faire de tels échantillons de citoyenneté l’horizon normatif de la pensée politique de Rousseau. L’histoire de la morale et le droit politique ne doivent cependant pas être si vite confondus. Rousseau n’écrit pas le Contrat Social à destination de peuples partageant les caractéristiques des antiques ; ont le sait, les mots de patrie et de citoyens devraient à la rigueur "être effacés des langues modernes" (Émile) ; Rousseau s’adresse à ses contemporains, à des hommes. La citoyenneté apparaît d’abord dans sa théorie politique comme un droit subjectif ; elle est de surcroît affaire d’intérêt plutôt que de vertu. Tout se passe dès lors comme si Rousseau avait tenté, dans un langage et des concepts résolument modernes, de construire un concept de citoyenneté fort, qui trouve sa meilleure illustration dans l’antiquité, tout en admettant par ailleurs que celle-ci ne saurait à proprement parler servir de modèle.

Indications bibliographiques

Rousseau Jean-Jacques, Du contrat social, 1762 ; éd. Bruno Bernardi, Paris, Flammarion, 2001 (en particulier le livre IV).
Rousseau Jean-Jacques, Discours sur l’économie politique, 1755 ; édition, introduction et commentaire sous la direction de Bruno Bernardi, Paris, Vrin, 2002.
Bernardi Bruno, Guénard Florent, Silvestrini Gabriella (dir.), La Religion, la liberté, la justice : un commentaire des "Lettres écrites de la montagne" de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Vrin, 2005.

Constant Benjamin, "De la liberté des anciens comparée à celle des modernes", dans Écrits politiques, éd. Marcel Gauchet, Paris, Gallimard, Folio Essais, 1997, p. 589-619 ; Principes de politique (version de 1806-1810), éd. Etienne Hofmann, préface de T. Todorov., Paris, Hachette, 1997.

8 décembre 2015 : Harmonia mundi  : unité, désir, magie à la Renaissance

Marie Durnerin  : "Le livre de la nature est écrit dans un langage mathématique" (Galilée) : l’influence de Pythagore à la Renaissance
Alberto Fabris  : Désir et politique chez Giordano Bruno

Harmonia mundi : unité, désir, magie à la Renaissance

Notre intervention commune a pour objectif de montrer comment une cosmologie qui considère le monde comme une harmonie, comme un tout organisé en une unité cosmique, a une influence sur la pensée éthique et politique.
La place qu’a jouée la figure de Pythagore, considéré comme un sage mais aussi comme une sorte de mage et de prophète capable de voir, d’entendre plus précisément, cette harmonie universelle et d’en transmettre la connaissance, sera étudiée dans un premier temps. L’engouement pour le pythagorisme à la Renaissance n’est pas anodin car il met en lumière une nouvelle vision du monde organisé de manière harmonieuse selon des lois mathématiques. Cette nouvelle cosmologie est donc logiquement en lien avec l’essor des sciences ainsi qu’avec l’application des règles mathématiques à l’art et l’application des lois de la perspective. Cette cosmologie influe fortement sur l’éthique et la politique qui ont alors pour but de permettre à l’homme de participer à cette harmonie cosmique.
Cette idée d’unité à la racine des différentes choses constitue également l’une des constantes de la pensée de Giordano Bruno (1548-1600) et la condition de possibilité d’une théorie de l’amour et de la magie à la Renaissance. Magie et amour représentent en fait deux faces d’une même médaille, deux opérations fantastiques qui se fondent sur la continuité entre pneuma (qu’on pourrait traduire par « esprit ») individuel et pneuma universel. Cette théorie est à la base d’un des plus importants traités bruniens, le De vinculis où le philosophe formule une théorie très complexe sur le désir et ses usages politiques. Si le desiderium est au centre de l’ontologie et de la gnoséologie de Bruno (en conformité à une tradition qui remonte à Platon), le De vinculis nous révèle le lien très serré qui unit indissolublement amour et magie, ontologie et politique.

Conseils de lecture

Les Vers dorés attribués à Pythagore disponible en ligne et très courts pour avoir une idée de la doxa pythagoricienne
Bruno, Giordano, Des Liens, traduit du latin, présenté et annoté par Danielle Sonnier et Boris Donné, Éditions ALLIA ; 2001 puis 2010.
Bruno, Giordano, Des fureurs héroïques ; introduction et notes de Miguel Angel Granada ; traduction de Paul-Henri Michel revue par Yves Hersant. Paris : les Belles Lettres, 1999

Indications bibliographiques

Indications bibliographiques
Agamben Giorgio Stanze, La parola e il fantasma nella letteratura occidentale, Einaudi, Torino, 1977. trad. française : Stanze : parole et fantasme dans la culture occidentale, traduit par Yves Hersant, Paris, Payot & Rivages, [1981], 1994 (édition augmentée).
Culiano Ioan Petru, Eros et magie a la Renaissance. 1484, Flammarion, Paris, 1984
De Rougemont, Denis, L’Amour et l’Occident (1939. Rééditions : 1956 et 1972).
Delatte A., Essai sur la politique pythagoricienne, Liège et Paris, 1922, rééd. Genève, Slatkine Reprints, 1999.
Huffman C. A. (dir.), A History of Pythagoreanism, Cambridge, 2014.
Joost-Gaugier C.-L., Pythagoras and Renaissance Europe : finding heaven, Cambridge, 2009.
Montano A., Le radici presocratiche del pensiero di Giordano Bruno, Marigliano (Italie) , LER, 2013.
Panofsky E., La perspective comme forme symbolique : et autres essais, traduit par G. Ballangé, Paris, Les éditions de minuit, réimpr. 2006, 1975.

10 novembre 2015 : Pouvoir et esthétique

Charlotte Triou  : Les points de contact entre poésie amoureuse et représentation du pouvoir

Les points de contact entre poésie amoureuse pétrarquiste et représentation du pouvoir

Ma communication portera sur les points de contact entre la poésie amoureuse pétrarquiste et la représentation du pouvoir. J’étudierai plusieurs textes dans leur aspect pragmatique (leur ancrage dans des dispositifs de don/contre-don entre le poète et le puissant auquel il s’adresse), et dans leur aspect idéologique (notamment à travers l’élaboration d’images royales vertueuses). Je mettrai en lumière des déplacements, des réemplois et des distorsions de motifs pétrarquistes, néo-platoniciens ou élégiaques dans des poèmes qui s’adressent à un puissant. La visée de ces repérages sera d’analyser les représentations du roi par des poètes directement impliqués dans une relation avec le pouvoir royal. Il y sera question de François Ier [1515-1547], d’Henri II [1547-1559], de Marguerite de France (sœur d’Henri II), et de Charles IX [1560-1574, dont la régence de Catherine de Médicis 1560-1563].

Indications bibliographiques

Fanlo Jean-Raymond, commentaire sur l’Ode à Michel de l’Hospital de Ronsard : http://e-sonore.org/main.php?daj=result&sid=&ref=AIX0000051 et http://e-sonore.org/main.php?daj=result&sid=&ref=AIX0000052
Ronsard Pierre de, Ode à Michel de l’Hospital : http://xtf.bvh.univ-tours.fr/xtf/data/html/B751131011_YE1482/B751131011_YE1482.html

De La Haye Maclou, Les Œuvres, Paris, É. Goulleau, 1553.
Du Bellay Joachim, Les Regrets, éd. F. Roudaut, Paris, LGF, 2002.
Jamyn Amadis, Les Œuvres poétiques, livres II, III et IV, éd. S. M. Carrington, Genève, Droz, 1978 (livre III, "Callirée").
Ronsard Pierre de, Œuvres complètes, t. XVII, deuxième partie, éd. P. Laumonier, Paris, STFM, 1959 ("Les Amours d’Eurymédon et de Callirée").

La Poésie à la cour de François Ier, Cahiers V.L. Saulnier n°29, Paris, PUPS, 2012 (dont l’ouverture de Frank Lestringant, et l’introduction de Jean-Eudes Girot).
Alduy C., Politique des Amours, Genève, Droz, 2007.
Cornilliat F., Sujet caduc, noble sujet, La poésie de la Renaissance et le choix de ses « arguments », Genève, Droz, 2009.
Davis N. Z., Essai sur le don dans la France du XVIe siècle [2000], Paris, Seuil, 2003.
Elias N., La Société de cour [1969], Paris, Flammarion, 1985.
Fragonard M.-M., Les Dialogues du prince et du poète, Paris, Gallimard, 1990.
Laigneau-Fontaine S., « Dulce decus vatum (Ducher, I, III, 1) : la relation des membres du sodalitium lugdunense avec leurs mécènes, un modèle horatien ? », Camenae 17, janvier 2015.
Langer U., Vertu du discours, discours de la vertu, Genève, Droz, 1999.
Petey-Girard B., site de l’exposition François Ier à la BNF : http://expositions.bnf.fr/francoisIer/index.html. (voir notamment le dossier sur le roi et les lettres).
Poirion D., Le Poète et le prince, l’évolution du lyrisme courtois de Guillaume de Machaut à Charles d’Orléans [1965], Genève, Slatkine, 1978.
Pouey-Mounou A.-P., L’Imaginaire cosmologique de Ronsard, Genève, Droz, 2002.
Sicard C., Poésie et rapports sociaux autour de la cour de France (1538-1560), thèse sous la direction de Jean Vignes, soutenue en 2013, à paraître.

Lola Salem : Figures du pouvoir au sein de l’opéra baroque au début du XVIIIe siècle : étude des personnages "à baguette" et de leurs interprètes

Figures du pouvoir au sein de l’opéra baroque au début du XVIIIe siècle

Les liens qu’entretient l’opéra avec le pouvoir sont constitutifs de l’institution (l’Académie royale de musique, créée en 1669 sur ordre du roi Louis XIV) et des genres mêmes (la tragédie lyrique et l’opéra-ballet, dont les prologues, détachés de la diégèse, sont un hommage direct à la cour). De fait, s’interroger sur les figures du pouvoir au sein de ces œuvres semble logique ; pourtant, le statut de personnage "puissant" et la-les représentation(s) qui en découle(nt) sont complexes. En effet, si les personnages sont globalement tous issus du monde noble, ce ne sont pas forcément les rois et/ou princes qui maîtrisent l’action, mais plutôt les êtres doués de magie – principalement féminins, mais pas exclusivement. L’opéra français baroque est travaillé par une esthétique du merveilleux et du "révélé" : le signe du pouvoir, qu’il soit détenu par un personnage "terrestre" (reine, princesse, magicien-ne, etc.) ou fantastique (déesse, muse, dieu, etc.) est ouvertement signalé par l’accessoire de la baguette et ses dérivés (lance, bâton, arc, etc.).
Je re-constituerai une typologie des différentes représentations du pouvoir, afin de voir ce qu’elles peuvent nous apprennent sur la manière dont la société de ce temps conçoit, de manière esthétisée, l’autorité. Je ferai tout d’abord l’analyse des caractéristiques de ces rôles ; enfin, je confronterai l’importance de ceux-ci au sein de la diégèse avec la place socio-économique des interprètes qui les incarnent à l’opéra.

Indications bibliographiques

Je m’appuierai en particulier sur les premières grandes œuvres lyriques de Rameau : Hippolyte et Aricie (1733), Les Indes Galantes (1735), Castor et Pollux (1737), Les Fêtes d’Hébé (1739) et Dardanus (1739).

14 octobre 2015 : XVIe et XVIIe siècles

Jean-Baptiste Vérot  : La reprise des thèmes antiques pour la définition du pouvoir dans la France du XVIe siècle : un topos de la Renaissance à l’épreuve des guerres de religion

La reprise des thèmes antiques pour la définition du pouvoir dans la France du du XVIe siècle

Je compte dresser un tableau des utilisations de différents thèmes et auteurs antiques destinées à définir la souveraineté royale et à délimiter son rayon d’action, au XVIe siècle, en mettant en avant le moment clé des guerres de religion.

Sony Isasi  : Les aspects « néo-sceptiques » de la politique pascalienne

Les aspects "néo-sceptiques" de la politique pascalienne

Parler d’un "héritage antique" de Pascal en ce qui concerne le scepticisme n’a rien d’évident : si, dès qu’il en est question, les Pensées renvoient de manière récurrente aux Anciens (à Pyrrhon et à l’Académie en particulier), les références restent relativement vagues. Or, il se pourrait bien que cette imprécision n’ait rien d’accidentel : c’est la conception pascalienne de l’histoire des idées qui semble exclure la nécessité d’aller puiser dans le corpus antique (I). Au contraire, la théorie (et la pratique) politique de Pascal tend plutôt à se rapprocher de celle des néo-sceptiques de son temps : il s’inspire en partie de la pensée des "libertins érudits" (conservatisme critique, mise en évidence de la dimension symbolique du pouvoir) et adopte leur attitude (restriction de la politique à l’espace privé) en jouant le conseiller du Prince (II). Toutefois, les esprits forts n’auraient pas compris la valeur politique du règne de l’arbitraire, seule réalité possible et souhaitable pour l’ordre social. Contre les "demi-habiles", Pascal radicalise donc le conventionnalisme, sans pour autant légitimer toute forme d’institutionnalisation de la force : aussi la "tyrannie" est-elle condamnée, quoique pour des raisons de nature théologique. Tel est en effet le paradoxe du scepticisme politique des Pensées : il se fonde en dernière instance sur une anthropologie dogmatique, héritée de l’Antiquité chrétienne (III).

Indications bibliographiques

Pascal Blaise, Pensées, Paris, Livre de Poche, 2000.
Pascal Blaise, Préface sur le traité du vide, in Pascal, Œuvres complètes, t. 1, éd. M. Le Guern, Paris, Gallimard (Bibl. de la Pléiade), 2000.
Pascal Blaise, Trois discours sur la condition des Grands, in Pascal, Œuvres complètes, t. 2, éd. M. Le Guern, Paris, Gallimard (Bibl. de la Pléiade), 2000.

Caroline Labrune : Un roi tragique est-il charismatique ?

Un roi tragique est-il charismatique ?

Quoique la confrontation de la notion de charisme, conceptualisée par Max Weber, avec le théâtre tragique du XVIIe siècle soit périlleuse, il s’avère rapidement qu’elle permet – pour peu qu’on prenne toutes les précautions lexicales et conceptuelles nécessaires – d’éclairer sous un jour fécond le corpus dont il est question. En effet, il est possible de qualifier les rois tragiques de charismatiques sous plusieurs aspects : tout d’abord, en vertu de la majesté qui les caractérise souvent, majesté découlant de la mystique royale de l’époque, et que l’on peut considérer comme une sorte de "charisme de fonction" ; ensuite, en vertu des qualités extraordinaires de certains d’entre eux, qualités qui les placent au-dessus du commun des mortels ; enfin, en ce que se dégagent de notre corpus plusieurs avatars de ce qu’on peut appeler une "communauté charismatique". Cependant, nous verrons que les dramaturges, loin de présenter une vision cohérente et unie d’un hypothétique – et trop théorique – "charisme" royal, s’appliquent justement à varier les situations, en reprenant, ou rejetant certains des aspects précédemment évoqués. Ils mettent ainsi en scène des cas-limites que la pensée théorique de l’époque ne peut envisager pleinement. Cela nous donnera donc l’occasion de voir ce que la considération d’une notion évidemment anachronique peut apporter à l’étude de notre corpus – chose que nous permet d’envisager un genre littéraire, et non théorique.

Indications bibliographiques

Corneille Pierre, Œuvres complètes, Paris, Gallimard (Pléiade), 1980/ 1984/ 1987 (en particulier Cinna, Don Sanche d’Aragon, Nicomède, Pertharite, Pulchérie).
Racine Jean, Œuvres complètes, t. 1, éd. G. Forestier, Paris, Gallimard (Pléiade), 1999 (en particulier Bajazet et Bérénice).
Bernadou V., Blanc F., Laignoux R., Roa Bastos F., Que faire du charisme ? Retours sur une notion de Max Weber, PU de Rennes (coll. Philosophica), 2014 (plus particulièrement l’introduction et la conclusion de l’ouvrage, ainsi que l’article de V. Azoulay).
Max Weber, Économie et société/ 1, Les Catégories de la sociologie, et /2, L’Organisation et les puissances de la société dans leurs rapports avec l’économie, trad. J. Freund, P. Bertrand, É. De Dampierre, J. Maillard, J. Chavy, Paris, Plon, (coll. Agora), 1995 (plus particulièrement, les sous-parties "La domination charismatique", "La routinisation du charisme ", "Les prophètes" et "La communauté émotionnelle").

15 septembre 2015 : Machiavel

Julien Vella : La vitalité du corps politique chez Machiavel : une reprise de la médecine antique ?

La vitalité du corps politique chez Machiavel

Je me concentrerai sur l’utilisation machiavélienne de la métaphore médicale dans un texte assez connu, le chapitre I du troisième livre des Discours sur la première décade de Tite-Live. J’irai un peu à rebours des interprétations habituelles de l’usage par Machiavel de la "théorie des humeurs". On insiste en général sur la façon dont le recours aux concepts de la médecine hippocratico-galénique singularise le Florentin dans la tradition philosophique qui pense la cité comme un organisme. Certes, Machiavel se fonde sur les savoirs thérapeutiques de son époque pour penser les "altérations" de ces corps mixtes que sont les républiques, les principautés et les religions. Cependant, j’essaierai de montrer qu’à certains égards son discours politique infléchit les conceptions antiques de la vigueur, de la santé et de la maladie. Le but est d’essayer de comprendre en quel sens on peut dire que Rome est, chez Machiavel, le "corps le mieux constitué".

Giorgio Bottini  : Le travail d’un concept juridique dans la construction du langage politique : la place accordée aux mœurs au cœur du système machiavélien

Le travail d’un concept juridique dans la construction du langage politique

J’interviendrai sur la place que Machiavel accorde aux mœurs à l’intérieur de son système politique. Je chercherai, d’abord, à vous montrer quel type de relation il établit à la base de tout régime politique humain :à savoir, une dialectique entre ordres (institutions), lois (dispositions) et mœurs (coutumes). Dans la suite, je vous proposerai un exemple des résultats auxquels peut amener une lecture de nature juridique quand elle est appliquée à l’interprétation des textes machiavéliens ; c’est-à-dire que, en suivant à rebours l’histoire des applications juridiques du mot "mœurs", on peut comprendre l’utilisation que Machiavel en fait, laquelle sinon reste cachée. Enfin, pour me relier à l’exposé de Julien en vue du débat, j’essaierai d’esquisser les lignes du rapport qu’il fixe entre corruption des mœurs et décadence d’un ordre politique.

Indications bibliographiques

Machiavelli Niccolò, Discorsi sopra la prima deca di Tito Livio, éd. G. Sasso et G. Inglese, Milan, Rizzoli, 1984.
Machiavel Nicolas, Discours sur la première Décade de Tite-Live, éd. A. Fontana et X. Tabet Paris, Gallimard, 2004 (I, 3, 17, 18, 55 ; III, 1, 5).