Séminaire commun

2 juin

Hélène Parent : Les armes ou la toge ? L’odium regni dans les discours des orateurs révolutionnaires, entre rhétorique et violence politique (Juillet 1792-Janvier 1793).

Que la référence antique, et plus particulièrement la référence romaine, abonde dans les discours des orateurs de la Révolution française, et plus particulièrement dans les mois qui précèdent et qui suivent l’établissement du régime républicain, le 21 septembre 1792, voilà qui n’est plus à prouver. Cela s’explique assez aisément, au premier abord, par la nécessité pour les députés de l’Assemblée législative, puis de la Convention, de justifier une action politique nouvelle et radicale : instaurer une République en faisant table rase des siècles de régime monarchique qui précèdent. Or, cette justification passe nécessairement par la mobilisation de modèles ou de contremodèles issus du passé, un passé qui n’a rien à voir avec l’Ancien-Régime. Dans ces circonstances, la République romaine, dans ses premiers et ses derniers temps, offre un réservoir de références inépuisable, puisque les Romains ont également instauré une République après avoir chassé un roi, puis ont dû, notamment dans le dernier siècle avant le passage à l’Empire, affronter plusieurs épisodes de guerres intestines et de conflit entre différentes factions rivales. Le parallélisme entre les deux situations est donc évident, et les orateurs ne se privent pas de le mobiliser dans le contenu comme dans la forme de leurs discours, dont certains ne sont pas sans rappeler l’éloquence cicéronienne.
Dans ce flot de références romaine, je propose de m’intéresser plus particulièrement à un thème récurrent : celui de la haine de la royauté, que l’on retrouve chez les Romains comme chez les révolutionnaires français (Louis XVI est un nouveau Tarquin) non seulement à l’égard des rois, mais encore : à l’égard de quiconque serait soupçonné d’adfectatio regni (d’aspirer à la Royauté), que cela soit du côté des aristocrates ou de celui des défenseurs du peuple (ces tribuns qui, en s’appuyant sur la plèbe, cherchent à exercer un pouvoir personnel). A travers le motif de l’odium regni, je serai donc amenée à m’intéresser non seulement au sort de Louis XVI (son procès dure du 7 octobre 1792 au 20 janvier 1793) mais encore au conflit qui oppose les différentes factions dans les assemblées successives, lesquelles se rejettent mutuellement l’accusation fatale d’aspirer à la dictature, c’est-à-dire in fine à la royauté. Or, « fatale » est bien l’adjectif qui convient dans ce contexte : du temps de la République romaine, quiconque aspirait ou semblait aspirer à un pouvoir personnel pouvait être condamné pour perduellio (crime de haute trahison) et précipité du haut de la Roche Tarpéienne. Or, on sent déjà dans les discours de certains révolutionnaires que cette référence à la Rome antique n’est pas un simple lieu commun argumentatif, et qu’elle instaure peu à peu une scénographie qui conduira progressivement vers l’épuration des factions successives. C’est donc le rôle de cet imaginaire romain dans le glissement de la rhétorique vers la violence politique que je me propose d’étudier, notamment à travers le thème de la haine de la royauté.

Camille Bonnan-Garçon : Pratiques et représentations du pouvoir dans l’Antiquité : bilan scientifique du laboratoire Junior ERAMA

Entre 2011 et 2016, le laboratoire junior ERAMA (Expressions et Représentations de l’Autorité dans les Mondes Anciens), de l’ENS de Lyon, a eu pour objec­tif de renouveler l’approche du phénomène de l’autorité dans l’Antiquité par la collaboration interdisciplinaire de jeunes chercheurs. Nous nous sommes efforcés de procéder selon une progression à la fois méthodologique et thématique avec pour point d’orgue l’étude de l’autorité comme mise en scène (colloque ERAMA des 20-22 novembre 2013). Le but de mon intervention sera donc à la fois d’exposer le parcours scientifique du laboratoire ERAMA et de procéder à des mises au point terminologiques (définitions des termes d’auctoritas, de potestas, de ἀξίωσις et d’ἀξίωμα, etc.) et conceptuelles sur le concept d’autorité dans l’Antiquité grecque et romaine. Le bilan de ces recherches permettra, je l’espère, de contribuer à donner une base, ou du moins constituer des prolégomènes aux recherches du laboratoire junior REPHAM. 

18 mai 2017 : Littérature et politique au XVIIe siècle

Sony Isasi : Calderón de la Barca ou la tragi-comédie d’une raison d’État "ob-scène" ?

Dans leurs débats autour de la réception de Machiavel, les tratadistas espagnols du XVIIème siècle s’accordent à faire de l’histoire le "laboratoire" de la réflexion politique. Dans quelle mesure le théâtre tient-il, plus discrètement, le même rôle ? Telle est la question que nous poserons à la riche production caldéronienne. Au-delà des enjeux didactiques et idéologiques, nous verrons que les pièces de Calderón se nourrissent des réflexions des théoriciens son siècle. Mais loin de se
contenter de les accompagner, elles les mettent dramatiquement à l’épreuve et, surtout, les intègrent à une réforme poétique plus vaste.

Joséphine Gardon : Madeleine de Scudéry et la politique : s’emparer des canons ?

Si l’on connaît aujourd’hui les romans de Madeleine de Scudéry, c’est plutôt comme modèles des travers à éviter pour les bons auteurs : longueurs, invraisemblances, ridicule, excès, mièvrerie… Ces idées sont tellement ancrées dans les anthologies et les esprits que peu de personnes prennent la peine d’ouvrir Artamène ou Clélie, qui pourtant faisaient les délices de leurs contemporains. En effet, dédiés à Madame puis Mademoiselle de Longueville, ces deux romans sont marqués par la Fronde, dont ils retranscrivent l’esprit voire les événements majeurs. En outre, du fait de la durée de publication, l’autrice se rend sensible aux évolutions des goûts et des pensées politiques de son lectorat, alors que s’achève le temps de l’aristocratie et que se fait jour une monarchie absolue. Entre fidélité et innovation, rejet du politique et réflexion, l’oeuvre de Scudéry propose un parcours féministe sur les enjeux de son siècle.

16 mars 2017 : Machiavel : l’ennemi intime, l’ennemi d’État. L’antimachiavélisme dans l’Espagne du Siècle d’Or

Par Adrian Guyot

Si l’œuvre de Machiavel connut une réception pour le moins mitigée parmi les cercles intellectuels de l’Europe moderne, c’est certainement en Espagne qu’elle suscita le plus d’hostilité. Alors que la défense d’un catholicisme immaculé reste au cœur des préoccupations des penseurs politiques ibériques, Machiavel critique avec véhémence le christianisme de son époque, et promeut un art politique affranchi de toute considération morale ou religieuse. Dès lors, l’antimachiavélisme le plus sourcilleux est de rigueur dans la très pieuse Espagne des Habsbourg. Toutefois, l’examen attentif de traités politiques d’auteurs aussi variés que Diego de Saavedra Fajardo, Baltasar Gracián, Fadrique Furió Ceriol ou que le Padre de Ribadeneyra révèle en réalité une grande diversité dans l’approche du donné machiavélien : du rejet catégorique à la réappropriation subtile, en passant par le plagiat pur et simple, Machiavel n’a ainsi eu de cesse, au delà d’un antimachiavélisme souvent de façade, de nourrir la pensée politique espagnole des XVIe et XVIIe siècles.

24 novembre 2016 : Aveuglement et raison d’un monstre : le peuple dans le théâtre tragique français du XVIIe siècle

Par Caroline Labrune

Le peuple n’a pas bonne presse dans le théâtre tragique français du XVIIe siècle : en effet, les dramaturges voient souvent en lui une « hydre à mille têtes », comme la plupart des théoriciens politiques de l’époque – d’André Du Chesne (Les Antiquités et recherches de la grandeur de la majesté des rois de France, 1609) à Cardin le Bret (De la souveraineté du roi, 1632). Ainsi le présentent-ils, la plupart du temps, comme une masse infantile, crédule et incontrôlable. Pourtant, si l’on considère leurs œuvres de près, on s’aperçoit que leur vision du peuple est plus complexe qu’il n’y paraît. Celui-ci peut, en effet, faire preuve d’une véritable clairvoyance, en soutenant – et en contribuant à sauver – un héros en danger ; à l’inverse, il peut également se charger de punir un personnage particulièrement odieux, et faire ainsi œuvre de justice ; enfin, il peut reconnaître, parmi différents prétendants au trône, celui qui est le plus à même de le gouverner.
Comment le peuple peut-il à la fois incarner un infantilisme monstrueux d’une part, et se révéler d’une clairvoyance salvatrice d’autre part ? C’est en tentant d’éclairer ce problème que nous verrons que le peuple, quoiqu’il n’apparaisse jamais en scène, n’est pas un simple spectateur privé de tout pouvoir dans le théâtre tragique français du XVIIe siècle.

14 octobre 2016 : Cités antiques et modernes chez Rousseau

Par Flora Champy

Tout au long de son œuvre politique, du premier Discours (1750) aux Considérations sur le gouvernement de Pologne (1772), Rousseau confronte Antiquité et modernité, au net préjudice de celle-ci. Les différents aspects de cette opposition s’articulent autour de l’idée d’un processus d’inversion historique, indice d’une décadence : « on faisait autrefois de grandes choses avec de petits moyens, et l’on fait aujourd’hui tout le contraire », affirme Saint-Preux dans Julie ou La Nouvelle Héloïse. L’action ordonnée de législateurs permettant de donner lieu à des cités cohérentes, durables et soudées, manque à l’histoire des États modernes. Aussi Rousseau lui emprunte-t-il peu d’exemples pour ses œuvres politiques ; il affirme également à plusieurs reprise l’inutilité de cette histoire sur un plan pédagogique. Il ne faudrait pas cependant s’en tenir à une interprétation duale. Rousseau sélectionne et caractérise ses exemples antiques de manière différenciée, privilégiant celui de Rome. Bien que rares, les références à des exemples modernes s’avèrent également significatives, et complémentaires des exemples antiques. Après avoir synthétisé les différences récurrentes entre cités antiques et États modernes, on examinera leur adaptation aux cas particuliers de Sparte, Rome, Athènes pour l’Antiquité, de Genève et dans une moindre mesure Venise à l’époque moderne. Nous espérons ainsi apporter quelques éclairages sur la place de l’histoire dans la pensée politique du citoyen de Genève.